Un de mes opéras préférés depuis que je m'intéresse à cette forme de musique…

Cet avis est placé sur la version de Kleiber de 1982 (que j'ai en CD) avec Margaret Price mais aurait pu tout aussi avantageusement être mis sur la version 1966 de Karl Böhm avec Birgit Nilsson et Christa Ludwig (que j'ai en vinyle) ou même, si la rubrique venait à être créée sur SC, celle du spectacle vu en janvier 2023 avec Mary-Elizabeth Williams. C'est d'ailleurs là qu'on se rend compte qu'il manquera toujours une troisième dimension aux enregistrements, quelles que soient leurs qualités respectives, comparés au spectacle lui-même...

Le livret qui est de Richard Wagner est inspiré de la légende celtique entre l'Irlandaise Isolde et Tristan, le neveu du Roi de Cornouailles. J'ai aussi lu que le livret aurait été inspiré par la passion de Wagner pour Mathilde Wesendonck, épouse de son bienfaiteur, reproduisant dans l'opéra un triangle amoureux analogue. C'est possible mais ça me semble relever plutôt de spéculations sans grand intérêt par rapport au sens général de l'opéra qui dépasse largement une intrigue mesquine "temporelle". Je préfère en rester à la légende celtique où mort et amour sont inextricablement liés, surtout que Wagner a su très bien distinguer la légende celtique – païenne - de celle récupérée au Moyen Âge…

En effet, dès le départ, on est confronté à ce dualisme puissant puisque Tristan tue l'irlandais Morold, fiancé d'Isolde. Mais il est blessé par le glaive empoisonné de Morold et seule Isolde peut le sauver avec un de ses philtres. L'échange de regards entre eux va faire naître une passion réciproque. Lorsque Tristan revient en Irlande pour mener Isolde à Mark, les deux, humiliés et résignés, ne pensent qu'à une chose, c'est mourir. Et il suffit d'une (bête) inversion de fiole, délibérée ou pas, pour qu'à nouveau le désir de mort se transforme en désir d'amour pour terminer en une vertigineuse course vers la mort …

Ces deux concepts, en principe, sont complètement antagonistes puisque "amour "signifie plutôt "vie". Sauf que lorsque la passion prend des allures extrêmes, l'extase confine (rait) à la mort …

Mais il y a mieux, c'est la dualité jour et nuit. Dans la vraie vie, le jour est synonyme de vie, de renaissance, de clarté. Dans "Tristan", le jour "perfide" (Der tückische Tag) est au contraire un moment de danger car on peut y être vu. Tandis que la nuit symbole normal d'obscurité et de mystère est, au contraire dans l'opéra, signe de sécurité et donc de vie.

"Eteins cette clarté qui remplit de crainte" (A2- Sc1)

L'acte 2 est l'acte de l'accomplissement avec un long et impressionnant duo d'amour entre Tristan et Isolde ; j'ai trouvé une expression qui viendrait de Nietzsche, qui me plait bien et caractérise, avec force, l'acte 2 : "la volupté de l'enfer"

Ce que j'appelle la scène de l'extase (A2, Sc2) "O sink hernieder / Nacht der Liebe" est une pure merveille musicale.

À la fin de l'acte 2, sc2, il y a cet avertissement de Brangaine dont le rôle, en retrait, est de veiller et de protéger le couple. Il tente de conclure la scène d'amour entre Tristan et Isolde.

Einsam wachend / In der Nacht / Wem der traum

La voix de Brangaine est au début pleine d'empathie puis devient vibrante et fiévreuse "Prenez garde / la nuit touche à son terme". Dans la version Böhm (1966), Christa Ludwig est impériale tandis que je trouve Brigitte Fassbaender un peu trop effacée dans la version Kleiber (ou peut-être techniquement, dans l'enregistrement, pas assez mise en valeur). Dans le spectacle, Brangaine étant dans une loge surplombant le public, telle une vigie, l'effet de l'avertissement est absolument saisissant…

Quant à l'acte 3, c'est l'acte de la mort, du désespoir absolu.

Le prélude de l'acte prend à la gorge par sa tristesse sans fond. En particulier, le jeu obsédant de la flûte (le chalumeau …) du pâtre est empreint d'une grande mélancolie.

La réplique de Tristan qui passe de l'abattement à l'exaltation est sublime alors qu'il attend le navire qui doit amener Isolde "Und drauf Isolde" (A3 – Sc1)

L'arrivée trop tardive d'Isolde avec Ich bin's, ich bin's (A3 – Sc2) puis l'émerveillement devant le visage aimé qu'elle veut, qu'elle doit rejoindre "Mild und leise (A3- Sc3) sont bouleversants.

Je pourrais en parler encore longtemps. Je me rends compte aussi que je n'ai pas parlé de l'ouverture qui est une sublime mise en condition, une plongée dans l'opéra ni des préludes avant chaque acte. Ni du texte qui est d'une très haute tenue si je compare ce livret par rapport à bien d'autres.

Comme toujours chez Wagner, j'apprécie la présence des leitmotive particuliers à chacun des thèmes ou des personnages rappelant au spectateur l'arrivée de l'un ou de l'autre ou surimprimant le personnage ou le thème, lui donnant une plus grande épaisseur.

Opéra où la musique, en flot continu, nous submerge pendant des heures qu'on ne voit pas passer …

Oui, un opéra qui surclasse tous les autres …

23/02/2023

JeanG55
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le 23 févr. 2023

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