Kurt Cobain reste le dernier prophète du rock. Dernier cyclone emportant tout sur son passage, catalyseur d'une période dorée pour un genre qui décroît maintenant de jour en jour. Depuis, bon nombre de fans espèrent un nouveau phénomène qui engendrera les prochaines heures glorieuses. Ces derniers temps, quelques critiques claironnent détenir son nom, un certain Ty Segall.
Mais en ces heures où Muse se déballonne alors que le monde se tourne vers eux ; échaudé par un Jack White qui n'a pas tenu toutes ses promesses ; sortant d'une décennie rythmée par des épiphénomènes et où l'on a l'impression qu'il ne s'est pas passé grand chose à part peut-être The Mars Volta ; et surtout, dans une période si pauvre que les critiques font parfois feu de tout bois pour des pets de lapin tel qu'Anna Calvi, le scepticisme s'impose.
Visiblement, Segall est un insatiable. Multi-instrumentiste, faisant partie de nombreux groupes et projets, en tournée incessante et n'ayant sorti pas moins de six albums solo depuis 2008, ce mec tient le rythme infernal des idoles des premières heures du rock. Voilà de quoi attiser un peu plus la curiosité. Le dernier album du phénomène annoncé offre de quoi y voir plus clair.
Le bonhomme semble maîtriser pas mal de styles, mais pour ici, l'impression est comme d'être au coeur d'une collision entre Queens of the Stone Age et les Smashing Pumpkins. Dès les premiers titres, Segall tape fort. Son lo-fi, fuzz à tout rompre, énergie latente ou explosive, on pourrait croire à une réminiscence du grunge. Mais Twins est bien plus qu'un simple revival. Derrière un son crade comme il le faut, Segall sait plaquer des riffs psychés, groovy ou diablement mélodiques. Difficile de décrocher s'il vous ferre. Ses morceaux sont bien plus sophistiqués qu'ils n'en ont l'air et l'album livre sa richesse avec les écoutes. Capable de calmer le jeu pour nous laisser souffler, il insuffle parfois un très léger parfum de pop avant de reprendre sa marche démentielle. Aussi bon dans le calme que l'énervé, riffs hypnotiques, voix parfois aérienne, ce mec empeste le talent. S'il sait jouer de nombreuses variations stylistiques, l'ensemble est finalement très homogène, et il est complexe d'en retirer un titre en particulier. Cet album est poisseux, colle aux oreilles, et gagne à être écouté, réécouté, et réécouté encore et encore.
S'il est certain qu'il manque un tube à Twins pour mettre son créateur sur orbite, le talent est là. Ty Segall est-il de la trempe des géants ? On ne le sait pas encore, mais tous les ingrédients sont réunis pour faire naître l'espoir. On espère tellement un avis de tempête.