Élie Yaffa aka Booba est un homme aux multiples facettes. Se faisant producteur autant que rappeur, il est donc important de prendre cette dimension en compte pour, selon moi, apprécier ce qu'il propose dans ULTRA. Qu'on apprécie ou pas sa musique, ses choix artistiques, ou son tempérament de feu, là où certains y verront une certaine forme d'immaturité, le "Duc de Boulogne" est tout un univers à lui seul, parfois au risque de s'y perdre, musicalement ou humainement. Il est ici question pour Booba de mettre en valeur son travail de production, en propulsant les artistes signés sur ses labels sur un projet aussi attendu. C'est un pari risqué mais réussi.
On pourrait débattre et échanger des heures sur ce qu'aurait dû être le dernier album de Booba, ayant créer une effervescence autour de chacune de ses sorties, entre les fanatiques à la limite du risible ou les haters endurcis, ULTRA allait forcément diviser, comme le font tous les albums de Booba depuis l'arrivée de l'autotune (hormis Nero Nemesis), controverse musical moult fois critiquée. Arrivé devant l'écoute de ULTRA, certains l'ont encore mauvaise concernant l'autotune et je suis désapprouvé pour eux, personnellement si je n'aimais pas le virage musical d'un chanteur ou rappeur et le verrait s'entériner dedans, je ne me forcerai pas à l'écouter. Ne pas pas avoir encore fait le deuil de l'ancien B2o et s'empresser d'écouter son album à minuit pile, ça me dépasse... Toutefois, je comprends aussi ceux qui écoutent par curiosité ou ceux qui portent en étendard ces fameux mots "Pour critiquer, il faut écouter".
ULTRA est un adieu au game mais pas au monde du rap, Booba n'est plus ce compétiteur technique ou lyrical, à l'époque de Lunatic ou Temps Mort sa place était loin d'être celle d'aujourd'hui, sans doute moins virulent envers les autres ou moins présent sur la scène médiatique (la faute aux réseaux...), il est important de prendre en considération sa nouvelle vie et son mode de vie pour ne pas s'imaginer de faux espoirs avec ULTRA. Est¬il paresseux dans sa musique désormais ? Je ne pense pas, simplement qu'il crée sa musique d'une autre manière. Producteur, Booba l'est davantage que rappeur en 2021, il fallait néanmoins pour lui fermer la porte de sa discographie comme il le ressentait, et non pas en prenant la posture d'un nouveau rappeur qui cherche à prouver. C'est un accomplissement mais aussi une suite logique dans sa longue carrière. Il est amusant de voir qu'il n'a pas hésité à ressortir du tiroir un couplet autotuné d'il y a 8 ans sur "Je Sais", peut-être pour démontrer qu'il avait raison de continuer dans cette voie là contrairement aux nombreuses critiques - "Tu crois que je dérive, mais c'est toi qui divague".
L'album contient cinq pistes "Rap" : GP, 5G, Vue sur la mer, 31 et Ultra, le titre éponyme. Tout le reste est un condensé de chansons, des envolées vocales ou des titres s'inscrivant dans les moods actuels, mais à la sauce Booba. Avec sa maîtrise du mot qui dérange ou qui reste en tête, sa fascination croissante pour de nombreux thèmes de société comme le désastre terrestre entre la fonte des glaces ou les pandémies derrière lesquelles peuvent se cacher des magouilles, il parvient toujours selon moi à faire visualiser à ses auditeurs ses idées politiques ou existentielles sur une punchline, sans leur casser les noix sur tout un son, et en restant toujours à l'affut de l'actualité et des tendances.
Il s'en va comme il a vécu, un rappeur compromis mais téméraire, car il fallait le rester pour se renouveler durant ses 26 ans de carrière, au risque de déplaire, mais toujours sincère avec lui-même et en "guerre" avec le monde qui l'entoure ; reconnaissant avant tout envers lui-même - "Jamais mordu la main qui m'a nourri, normal c'est la mienne". A l'heure de la division communautaire, à l'heure des polémiques, à l'heure du jugement facile ou biaisé, Booba a été cet animal, cet ours combatif, parfois irritant ou lunaire, crachant sa rage et faisant preuve d'un flow incroyable sur des instrus que ses haters n'auront jamais, des classiques qu'ils ne feront jamais, allant de Mauvais Oeil jusqu'à Ouest Side, il a depuis 0.9 opéré un changement et nous laisse un héritage musical très, très conséquent et où toute le monde peut y trouver son compte. Plutôt que de faire un "Temps Mort 2" ou un "Nero Nemesis 2" pour faire jubiler les fans, en sachant pertinemment que ces suites illusoires n'auraient jamais pu être meilleures que les originaux (coucou Or Noir 3), sur ULTRA il défend sa liberté à lui et chante... pour sa dernière fois.
"Que le Hip Hop français repose en paix."
Mentions spéciales pour les titres suivants : Grain de Sable, GP, Mona Lisa, L'olivier.