Après avoir écouté ce qui fut le premier extrait d'Underneath the Rainbow disponible sur la toile - Boys in the Wood - je me suis laissé aller au plus noir pessimisme quant au devenir de ce groupe.
Je n'avais jamais entendu quelque chose d'aussi vulgaire - dans le son - de la part des Black Lips :
Un son de guitare grassouillet, des phrasés clichés, des chœurs appuyés par une section de cuivres à flonflons.
Cela me parut - hélas - très en adéquation avec la pochette que j'ai eu l'occasion de voir ensuite :
Des chaînes de moto, du cuir, de la gomina.
They're wearing leather, and they really think it's cool (petite référence aux paroles de Dirty Hands, pour ceux qui viennent de découvrir le groupe).
Voici donc les Black Lips versés dans le beauf rock à bikers, qui pue le cambouis, l'essence, la sueur mâle et la bière rance.
Je les préférais déguisés en Cletus (des Simpsons).
Puis vint le clip, étalage ordurier de déviances diverses, exhibition malsaine de violence gratuite et ostentation de drogues dures, à faire passer Fidlar pour des pudiques et des raffinés.
Au milieu de cet achalandage putassier se trouve une référence grossière, usée jusqu'à la moelle, à la fameuse scène de viol de Délivrance.
Peut-être qu'à l'époque où réunir ce genre d'obscénités en un infâme « coquetaile à voir » était encore subversif, cela avait un quelconque intérêt. Mais à l'heure actuelle, ça ne ressemble - pour ceux qui ont une once de discernement - qu'à de la basse complaisance, la fameuse image du porc qui se roule dans sa fange.
Une surenchère dans le sordide : l'outrancière volonté de surpasser le clip de Family Tree, que peut-être certains adolescents authentiques ou attardés ont trouvé original ou audacieux (qui sait !).
Peu après l'écoute de l'album dans son intégralité, il m'a été donné de voir un autre clip, celui de la chanson bonus du disque (bonus honnêtement dispensable, sur le plan musical).
On y voit les membres du groupe dans une sorte de parodie de Grease, version gay, les Black Lips déguisés en motards cuirs de Village People, donc... bien... hihihi
De cette vidéo, il ressort que ces coupables appétences pour la moto et la gomina ne sont que la nouvelle facette de l'humour Black Lips, heureusement car la dimension humoristique rend cette esthétique ringarde plus acceptable. On souffle un coup, reste la musique...
Ces doutes provoqués par Boys In the Wood sur l'éventuelle qualité de l'album se trouvèrent eux-aussi heureusement dissipés avec l'écoute intégrale de l'album : aucun véritable changement révolutionnaire dans le son.
Les guitares sont dans l'ensemble assez grasses et la fuzz n'est pas aussi bien utilisée qu'auparavant, mais ça se supporte, c'est du Black Lips.
On a quelque peu l'impression qu'ils se sont un peu affranchis de leurs obscures influences garage 60's (dont la marque caractéristique est souvent une ligne de fuzz au son aigrelet jouée sur une seule corde) pour faire quelque chose de plus commun, de plus large, d'un peu plus punk, de plus versé dans la décennie des 70's.
On retrouve un peu dans l'esprit général de l'album l'étrange noirceur du tout premier album (les ambiances sordides de Down and Out ou Stone Cold) ou de 200 Million Thousand (Trapped in a basement).
Ce retour à l'étrange, au malsain, au lugubre etc. (vous savez, le gloomy/creepy/freaky et autres qu'on entend ressassés par les cons férus d'anglicismes) n'est malheuresement à aucun moment à la hauteur des compositions précitées, pas même dans Vibrate ou Dog Years.
Dans 200 Million Thousand, ce fut le batteur, Joe Bradley, qui était l'auteur des meilleurs titres, à l'exception du ressucé de Dirty Hands (I'll Be With You, autre hommage à Bobby Ubangi) et Drugs de Swilley.
Alexander fut le « compositeur majoritaire » si l'on peut dire, dans ce disque, mais une bonne partie de ses chansons n'étaient alors pas bien intéressantes : si l'on peut se laisser aller à apprécier Elijah, BBBJOT ou Starting Over, les autres sont franchement chiantes.
Dans cet album-ci, Bradley est le second compositeur du disque, mais aucune de ses chansons ne retient vraiment l'attention, Alexander s'accapare les titres les plus intéressants, outre les trois compositions que j'ai déjà citées ici, on peut retenir Funny et Dandelion Dust.
Parmi les meilleurs titres du disque se trouve l'une des deux chansons de Swilley : I Don't Wanna Go Home, notamment grâce aux sifflotements et à la ligne de fuzz basse ou baritone à la Dutronc (Les gens sont fous les temps sont flous)..
Le reste n'est pas mauvais non plus, mais honnêtement assez bateau, on a déjà entendu mille fois ce type de chansons chez les Black Lips.
Voilà d'ailleurs un problème majeur de ce disque : tout ce qu'il contient a déjà été fait par eux-mêmes auparavant.
En dépit des bonnes chansons qu'on trouve dans Underneath the Rainbow, ce disque ne contient aucun véritable tube, l'album manque également de fraîcheur et d'originalité.
Je m'attendais à plus de country (d'après certaines informations que j'avais glanées sur le net), et après Arabia Mountain, à plus d'instruments inhabituels chez ce groupe (thérémine, scie musicale, guitare lap steel, douze cordes...).
L'impression que l'écoute de ce disque laisse, c'est que les Black Lips sont un peu usés, ce qui peut tout à fait se concevoir après 7 albums dans un registre garage-punk.
Force est de constater que peu de groupes de la décennie 2000 ont su bénéficier d'une telle longévité tout en sachant préserver une telle authenticité et une telle qualité.
Mais tout a une fin et ce disque semble être celui de l'auto-complaisance ou du tarissement de l'imagination, un état d'esprit ou une situation redoutables pour un artiste, signe précurseur de mort.
Peut-être que les Black Lips se sont empâtés, ou peut-être qu'ils sont fatigués de recommencer leur sempiternelle farce de clodos d'apparat pour amuser la galerie acnéique.
Il vient un moment où on ne peut plus jouer l'adolescent.
On peut craindre qu'Underneath the Rainbow soit le El Camino des Black Lips : l'album médiocre après l'apogée, gare au disque suivant.