«Une main lave l’autre» est le premier album studio d’Alpha Wann, rappeur parisien issu du XXème arrondissement ainsi que du groupe 1995. Et c’est justement avec le groupe 1995, qu’il va connaître ses premières notoriétés. En effet, le groupe composé d’Areno Jaz, Nekfeu, Hologram Lo, Fonky Flav’, Sneazzy et Alpha lui-même vont lancer une nouvelle vague dans le Rap Français au début de la décennie des années 2010. Le groupe va notamment mettre en avant leurs inspirations très centrées sur la scène Rap des années 90, d’où le nom du groupe. L’année 95 a été une pierre angulaire dans le mouvement musical du Rap et certains des albums les plus influents sortirent cette fameuse année. Des albums comme « The Infamous » de Mobb Deep ou encore « Lifestylez ov da Poor & Dangerous » de Big L vont énormément influencer les membres du groupe ainsi que leur style. Et on peut aujourd’hui dire qu’Alpha Wann est l’un des membres d’1995 qui restent le plus fidèle à ce style technique, basé sur le travail des textes. Le groupe parisien va alors connaître rapidement un succès chez les différents auditeurs par cette fidélité au mouvement musical originel. Loin d’un Rap de plus en plus capitaliste et dominé par les majors comme j’ai pu l’évoquer lors de critiques précédentes. Cependant, peu à peu le groupe d’amis va perdre cette identité, chacun des artistes souhaitent alors commencer leurs carrières solos pour travailler leurs propres caractéristiques et ce qui leur est le plus parlant artistiquement.
Et justement je pense qu’Alpha Wann fait partie des membres qui vont perpétuer cette fidélité au « mouvement originel » et à cette « science » de l’écriture très typique de la scène New-Yorkaise ou de la scène française des années 90. Et très vite Alpha Wann va faire partie des rappeurs les plus technique, son talent progressant constamment, alors que sa carrière studio ne faisait que commencer. Il va donc sortir ses deux premiers EP’s de la trilogie « Alph Lauren », montrant à la perfection l’évolution de cette technique du rappeur, de ce travail des rimes. Un amour qu’il ne fait que perpétuer car il l’évoquait déjà durant sa période d’1995 avec ses fameuses références « aux flows de Big L et Jay-Z ». Le dernier EP de la trilogie ira toujours plus loin techniquement parlant alliant métaphores et jeux de mots. Il prendra alors peut être de droit la place de rappeur le plus technique de France ?
Cependant, à mes yeux il manquait une petite pierre à cette édifice, un complément à cette technique qui fera d’Alpha Wann un des meilleurs artistes de la scène rap actuelle. Et c’est avec son premier album qu’il va pour moi mettre auditeurs et critiques d’accords faisant d’UMLA un classique futur du Rap français. Et le complément qu’il manquait justement, il va l’allier à la perfection à sa technique renommée, c’est alors à cette combinaison que je vais donc m’intéresser !
Alpha Wann fait alors partie des rappeurs les plus techniques de la scène francophone. Avec son groupe d’origine il va remettre au goût du jour ce Boom Bap old school très loin de la Trap dominante. Areno Jaz’ est pour moi aussi un des grands ambassadeurs d’1995 par cette passion du mouvement et de tout ce qui en découle. Ils sont pour moi les deux membres du Crew qui m’auront le plus marqués et qui auront développés chez moi une véritable curiosité pour le mouvement et sa musique. Et non pas seulement le mouvement actuel du Rap, mais aussi l’histoire de ce mouvement et tous les classiques qui composent sa mémoire. J’ai alors un énorme respect pour le groupe 1995 et pour ces deux membres qui m’auront inspirés de nombreuses écoutes malgré des trajectoires solos différentes. Je prendrais le temps de faire une critique d’Areno Jaz’ et de son permier EP qui est là aussi très important à mes yeux. Cette contextualisation est cruciale pour comprendre l’importance de la technique de « Philly Flingo » car c’est ces inspirations qui vont former la pureté de l’écriture du rappeur. Le travail de jeux de mots, les métaphores mais aussi les références à la culture dans son ensemble vont faire qu’Alpha va se démarquer de très nombreux artistes. La façon d’écrire ses rimes en mélangeant certaines sonorités, parfois inattendues, sont folles et totalement anti-conforme à des artistes ayant tendance à toujours écrire d'une même façon. L’une des apogées de cette technique dans cet album se manifeste par le morceau « ça va ensemble ». Il commence le morceau avec un flow justement très fondé sur cette aisance technique. On a l’impression qu’il tente de sortir rimes et punchlines à des vitesses sous formes de rafales. Ces rimes étant inspirées du titre du morceau, pourtant simple, « ça va ensemble ». Il enchaîne les comparaisons ainsi que leurs contraires sous forme de rimes à une vitesse folle. La richesse des mots est pesante tout en suivant ce fil conducteur "ça va ensemble" ou non. Donnant ainsi un coté répétitif au morceau durant les trois premières minutes. L’instru se termine et je vous avoue que le piège est possible, en pensant à une fin du morceau. Mais au contraire, une nouvelle instru' totalement différente de la première démarre. Philly Flingo entame alors un second flow là encore à l’opposé du premier donnant alors une véritable performance artistique. Le flow y est alors différent, mais la technique reste toujours aussi pure. Plutôt que de démarquer cette technique par la vitesse comme pour les trois premières minutes, il va marquer son aisance par ses références culturelles et donc par la finesse de ses références. Tout en l’utilisant à son aise pour atteindre un ego-trip d’une subtilité folle.
Mais l’argument qui me fera dire que c’est un classique aujourd’hui et qui fait qu’Alpha Wann a marqué à l’encre l’année 2018 est l’apport personnel qu'il fera à cette fameuse technique. En effet, Alpha était déjà reconnu comme technicien hors-pair mais l’apport d’une réflexion totalement personnelle de l’artiste va permettre au projet de prendre une dimension toute autre. C’est l’un de ses premiers projets où il prend une position aussi radicalement personnelle dans son Rap, poussant son autodérision en Egotrip. Mettant aussi bien en avant ses qualités et ses facultés que ses différents défauts à nus. Un aspect qui était beaucoup moins présent dans sa trilogie d’EP. Des remises en questions parfois ironiques, parfois destructrices, parfois drôles qui iront jusqu’à son propre physique et ses propres relations. Une réflexion et une autodérision poussées alors à l’extrême. Comme le montre une des punch’s qui m’a marquée dans le morceau « Une Main Lave L’autre » où Philly Flingo scande « Ma vie est flinguée, c’est moi le tireur ». Ce recul que prend alors l’artiste sur lui-même est fou et demande un véritable travail et une véritable réflexion artistique, surtout pour l’allier à cette aisance technique qui fait la renommée du rappeur.
En plus de cette réflexion sur sa propre personne, l’artiste va appliquer cette réflexion à son rapport au monde qui l’entoure et donc ses sentiments face à la société qui l’entoure. Là encore, il va utiliser à son aise sa technique. Pour venir exprimer ce rapport au monde, un rapport au monde qui peut beaucoup divaguer en fonction des artistes. Ici, le rappeur du XXème arrondissement, évoque différents thèmes et notamment les différentes pertes de repères de l’artiste à différentes échelles. Réalisant non plus une remise en question sur lui-même mais sur son quartier, sur son pays, sur l’Homme et la société. Il va alors dénoncer ce qui le touche mais aussi ce qui inspire son art, car avec cet album Alpha combine enfin à la perfection sa technique et sa réflexion personnelle. L’un des morceaux types est « Olive et Tom » où il met en évidence la galère et l’engrenage de son quartier, les différents problèmes de cet isolement tout en gardant ce respect et l’amour pour la communauté dans laquelle il vit. La fin du morceau amène alors à une vraie problématique et donc à une vraie réflexion de l’auditeur. On part d’un questionnement de l’artiste sur des situations ironiques pour nous-mêmes réfléchir, après avoir saigné le morceau.
Alpha Wann va réaliser une véritable secousse dans le « Rap Game » en 2018, lui qui était longtemps considéré comme étant surtout un rappeur technique. Il va s’élever à un autre niveau et faire de son premier album un classique certains pour ses pairs, pour les auditeurs et pour les critiques. Il dira même au travers de ses paroles qu’il fait pas son album pour le disque de platine mais pour en faire un classique. Je crois que cette affirmation est confirmée quand on voit l’impact qu’a eu « Une main lave l’autre » sur la carrière actuelle de l’artiste mais aussi sur l’évolution du rap de ces dernières années. Cet album transpire la culture Hip-Hop et cette volonté affirmée de se démarquer d’un conformisme général dans le mouvement actuel est une réussite. « Cascade remix » considéré comme le plus mauvais titre de l’album selon Alpha Wann par son manque de technique et son refrain est aussi le « tube » de l’album, titre étant le plus écouté du projet sur les différentes plateformes. Titres ou Alpha prône fièrement « encore un son qui ne passera pas sur sky » montrant ainsi à la perfection cette prise de recul face au conformisme ambiant du Rap actuel et cette pensée riche qui sera véritable fil conducteur de l’album. Faisant passer ainsi l’art avant le business. Aujourd’hui sa « Don Dada Mixtape volume 1 » est disque de platine. C’est beau.