Quand je pense qu'en 1991 sortent Massive Attack et qu'on est en pleine grungemania...C'est vraiment une autre époque, et pourtant, Yes écrit encore sa propre histoire, et elle est unique. C'est du Darwinisme musical, comprends-le, Yes va produire une musique pop à la croisée de sa propre tradition prog, réinventée, une musique hors-normes. Et ce sera une superproduction.
"Union", c'est 15 titres, 1 heure 10 de musique, 2 groupes, 9 musiciens officiels avec Levin, 6 musiciens additionnels (dont Elias), 12 programmateurs sons (dont Elias), 7 vocalists additionnels (dont Elias), 1 poétesse Cambodgienne (dont Elias..non j'déconne), 7 producteurs (dont surtout Elias et Anderson), 10 auteurs-compositeurs (dont principalement Elias, Anderson et Howe), 14 studios d'enregistrement ou de mixage, 758 rouleaux de papier Q (selon Rick Wakeman), des ingénieurs et techniciens que je refuse de compter, et j'ai pas pu identifier encore les restaurants chinois auxquels ils ont du faire appel... mais j'imagine qu'ils ont du manger chez Elias, mais tu suis un peu !!?
Pas facile en effet de ce farcir un projet aussi abracadabrant, cherchant à réunir deux groupes dans un même disque, donner l'illusion d'une cohérence, se frapper les egos musicaux de chacun et pourtant payer autant d'impôts en fin d'année, c'est aberrant.
Dans un classement, il y a deux point de vues : d'une part ce qu'on pense être comme être les meilleurs albums de Yes, et d'autres part, au fond, ceux qu'on écoute le plus souvent et qu'on préfère le plus. Et vois-tu, finalement c'est l'album que j'écoute le plus...
Tu peux aussi décider de t'en foutre remarque. C'est vrai il y a bien plus grave dans le monde, comme le massacre organisé de milliards d'animaux d'élevage, la raréfaction de l'eau ou quelle destination choisir pour ses prochaines vacances, mais bon, passons.
Après avoir usé, sur-écouté "Close to the edge", "Yes album", "Fragile", "Relayer", "Tales", "Going for the one", je remarquais que je revenais chaque année à "Union".
Tiens, tiens, bizarre...que se passait-il donc pour moi, avec cet album ? Alors que tout le monde semble le détester, voire même le haïr, le vomir à un tel point cet album qu'il est une aberration aux yeux des gardiens du temple (les fans)... Serai-je tout d'un coup devenu franchement con ou peut-on s'autoriser une autre supposition ?
1991 : tu peux chercher, tu ne trouveras pas un seul album qui sonnera comme cet album. On est en 1991 et nous avons devant nous un Yes moderne, et pourtant toujours avec ce son et cette architecture musicale particulière et unique.
Elle bénéficie d'une production de luxe organisée par le courageux Jonathan Elias, qui, si tu sais lire l'anglais, raconte très bien dans une interview tous les aléas de l'aventure Union (on trouve ça aisément sur internet).
Cette vanne perpétuelle comme quoi certains musiciens détestent cet album ne doit pas t'influencer. C'est peut-être une des dernières fois où Yes a en face un "vrai" producteur, exigeant, avec l’œil extérieur, celui qui dit "Howe tes parties guitare ne sont pas bonnes", ou à Wakeman "les sons ça ne va pas, t'as pensé au pq ?"(preuve accablante à 4'38)
C'est le producteur qui doit faire face aux désaffections, aux contradictions, à certaines mauvaises foi, au sabotage...mais il tient bon, cherche des programmeurs synthés, des musiciens externes.
Jonathan Elias réussira à finir cet album casse-gueule avec Jon Anderson, l'homme aux rêves délirants et grandioses, qui pousse tout le monde dans ses retranchements, manipule, au prix d'incompréhensions et de désamours de la part des musiciens.
Pourtant, O grand étonnement, oui pourtant cela fonctionne.
C'est un tour de force car Elias y donne une cohésion, avec bien sûr la voix angélique de Jon Anderson qui lie forcément l'ensemble. C'est une sorte de Frankenstein de Yes, l'union sera plutôt un concept, un mariage forcé.
Mais en relisant bien les crédits, ce n'est pas aussi dramatique, Steve Howe fournit et produit "Masquerade" (tu remarqueras la petite pique au passage), Eddy Offord (producteur mythique de Yes) fournissent avec Billy Sherwood et Chris Squire le magnifique "The more we live - Let go", Mark Mancina et Eddie Offord travaillent avec Yeswest "Miracle of life" et arrivent à nous transmettre le son de l'émerveillement, Bill Bruford et Tony Levin y vont de leur instrumental "Evensong", et Jon Anderson nous apporte ses personnels et profonds "Angkor wat" et "Take the water to the mountain".
Ensuite bien sûr, la grande majorité des titres viennent de ABWHLE (Levin et Elias) et seulement 4 titres seront de Rabin/ Squire / White / Kaye. (ils se sont fait un peu avoir là je me trompe ? Il est vraiment trop fort ce Jon...il leur prend 4 chansons et récupère le nom au passage)
Mais c'est un album avec des chœurs incroyables, des mélodies rapides et alambiquées, des mesures composées, des tournures complexes...
...et le dernier Yes avec ce phrasé si particulier de Bruford et la basse sexy de Tony Levin, ce héros (on les retrouvera tous les deux dans le futur et terrifiant King Crimson "Thrak"), c'est la formation rythmique qui enregistra "Discipline", "Beat" et "Three of a perfect pair", et rien que pour cette raison, vois-tu, j'aime cet album : ça groove. Et 27 ans après, il a toujours un incroyable son. C'est du Yes 3.0, rebooté, avec beaucoup plus de Yes que ses prédécesseurs.
Pas de doute, écoute, compare, à la même époque, écoute le dernier Genesis de 1992 : c'est de la variété.
Yes a toujours fait de la pop, et dans "Union" cela déborde de structures prog dans une pop moderne. Ce son est unique
Je le répète : il n'y a aucun album qui ressemble à celui là.
Ni avant, ni après.
Titres : "Silent talking", "Without hope you cannot start the day", "Shock to the system", "I would have waited forever", "The more we live - Let go", "Saving my heart", "Miracle of life", "Take the water to the mountain", "Masquerade"
Et si tu veux avoir une idée de qui est Jonathan Elias, le producteur, écoute ça
(classement des albums de Yes personnel et commentaires ici)