"Toute critique pour cet album est presque un mauvais service à l'artiste parce que la musique elle-même parle fort et tout est ici devant vous pour l'entendre."
UNTRUE est un album de musique électronique. Sa musique elle-même couvre plusieurs micro-genres de la scène électronique et la liste est la suivante: Grime, Drum n 'Bass, Two-Step, Garage, Jungle et Trip-Hop. Le hip-hop et le Rn'B se mêlent également. Le point culminant de tous ces styles se traduit par le son Burial et ce qui est maintenant déterminé à être appelé à jamais, Dubstep. Le fait est que vous ne pouvez pas classer cela dans Dubstep. C'est bien au-delà de cela.
Certains grincent des dents en entendant le terme Dubstep. Je ne contesterai pas cette réaction. Cependant, sachez que cette musique a acquis une nouvelle signification avec UNTRUE.
Les 13 titres de cet album sont chacun un instantané de ce que peut être la nuit, ou une pièce enfumée. Il y a une brume ici, une humidité presque claustrophobe qui fait gonfler planchers et plafonds. C'est la musique d'un club délabré, ou d'un sale taxi à 3h du matin. Ivresse, solitude, déprime, mais aussi douceur, renaissance, apaisement, tout se complète dans ces airs.
Le premier album de Burial était excellent et reste un classique du genre, mais avec le recul, il ressemble beaucoup au cocon dont UNTRUE a éclaté. Beaucoup des mêmes ingrédients sont là, comme les rythmes construits à partir d'effets sonores de jeux vidéo et ce qui ressemble à des couverts cliquetants, et les échantillons vocaux R&B hachés. Cependant, bien que le son puisse être similaire, l'atmosphère ne l'est pas. Comme beaucoup de la musique dubstep ancienne, Burial est inquiétant et menaçant, évoquant un paysage urbain menaçant qui n'est pas sans rappeler la musique industrielle. Les rythmes sont nerveux et les lignes de basse sont lourdes, ce qui contribue à une expérience musicale agréable, mais peu invitante.
UNTRUE est différent. Au lieu de les utiliser comme glaçage sur son sombre gâteau, Burial met ses échantillons vocaux au centre de l'album. Il a enregistré ses amis au téléphone et s'est plongé dans les acapellas de YouTube, récupérant de nombreuses reprises amateurs de classiques du R&B. Il a ensuite lancé ces échantillons bien en dehors de leur gamme d'origine, créant sa propre distribution de voix. Il n'a pas été le premier artiste électronique à faire cela, et ne sera certainement pas le dernier, mais personne ne peut manipuler la voix humaine comme Burial. Il utilise même des échantillons suffisamment variés pour que ses morceaux aient quelque chose de proche des paroles. Archangel , le morceau le plus connu de l'album, s'ouvre sur le couplet “holding you / couldn’t be alone / loving you / couldn’t be alone / kissing you”, entièrement construit à partir d'échantillons hachés de "One Wish" de Ray J. et séquences de jeu "Metal Gear Solid 2"
Il est émotionnellement ouvert d'une certaine manière que peu de chansons dubstep, voire aucune, expriment autant une humanité palpable comme "Archangel", et c'est cette étreinte de vulnérabilité qui rend UNTRUE si spécial.
On peut comparer l'album à un chant lumineux de prière et d'amour contextualisé dans la modernité, dans lequel Burial, renforce le lien avec des rythmes en 2Step sur "Near Dark" (sample d'un Usher méconnaissable), choisit des paysages aériens environnementaux sur "Dog Shelter" et "Endorphin" (sample déchirant de Akira Yamaoka de "Silent Hill 3) et même des invocations célestes de House sombre dans "Untrue" (La voix de Beyoncé métamorphosée étant suffocante) et dans "Raver" pour donner vie à un monde qui, dans la souffrance, redécouvre des lueurs d'humanité vitale, même si elle est encore forcée à des sentiments amères
Les pistes plus calmes comme "Ghost Hardware" et "In McDonalds" dans laquelle la grande Aaliyah y est, elle aussi, magiquement samplée, évoquent les scènes urbaines grises et érodées du Londres natal de Burial, confirmant sa position de chroniqueur atmosphérique le plus sidérant de la musique urbaine moderne.
Aussi, la subtilité d' UNTRUE des chansons comme "Shell of Light" ou la piste titre réside dans la basse oscillante, parfois appelée basse Wonky (faisant référence au genre de la fin des années 2000). Ce genre de production de basse existe depuis la fin des années 90 sur les premiers disques de Garage. Le fait est que Burial place ces parties de basse dans les espaces esthétiques de Future Garage - elles sont conçues avec des quantités de réverbération qui ne fonctionnerait pas dans un festival, d'ailleurs ce fonctionnement, on ne le trouvait que sur les disques ambiants des années 2000. Simplement, Burial, en utilisant ces gros synthés de basse dance musclés et en les adoucissant avec des espaces de production de type cathédrale, les transforme en instruments légers au pouvoir contagieux.
Tous ces éléments spécifiques du son Burial montrent à quel point UNTRUE était important après sa sortie jusqu'à aujourd'hui, mais il vaut la peine de dire que l'importance de l'album va bien au-delà de son influence et de sa signification culturelle - c'est aussi un sacré bon disque électronique en soi. Son ambiance envoûtante rappelle celle des ruelles sombres et des rues froides et vides de la ville, mais il reste une chaleur invitante dans ses synthés glissants comme la douce caresse d'un manteau bien ajusté. Je dis "un manteau" et non "la main d'un ami" par exemple, parce que UNTRUE est un album résolument solitaire, sinon un album de rupture. C'est un album pour se promener entre des bâtiments endormis lorsque la nuit n'est éclairée que par une lampe orange et son reflet dans les flaques de pluie autour de vous.
Je me souviens quand j'ai entendu pour la première fois UNTRUE :
Je rentrais du boulot, éreinté. Une période éprouvante, ma fille (6 ans à l'époque) et sa mère avaient quitté la maison depuis quelques mois déjà, le divorce était en route. Une nouvelle vie commençait, à 29 ans. Après ma douche, j'ai enfilé des vêtements chauds, ceux dans lesquels vous vous sentez bien. Puis je me suis roulé mon petit spliff de fin d'journée, ai lassé mes baskets abimées par le temps, me suis enveloppé d'un gros blouson à capuche, direction le café du centre ville pour me réchauffer autour d'un double expresso.
Sur la route j'ai mis enfin UNTRUE. l'expérience fut inoubliable. Porté par ce qui allait être une bande originale de tout un pan de ma vie. Je me souviens que trop bien dans le café, à regarder à travers la vitre la vie de gens en automne, à serrer des mains aux connaissances de comptoir qui défilaient de temps à autre, à mes mains autour de ma tasse qui cherchaient chaleur et réconfort, à cette sensation que quelque chose était en train de changer personnellement. J'étais si étonné à quel point l'album cadrait bien avec le contexte de ma vie.
Aujourd'hui, je l'écoute encore parfois en rentrant chez moi tard dans la nuit, d'autres fois en lisant à la lumière du soleil gris d'un jour de pluie. Il aura toujours une place dans ma mémoire, et même si je n'y reviens pas pendant des mois, l'espace mental dans lequel il m'envoie à chaque écoute me rappel que chacun d'entre nous avons un album qui a une place unique.
Pour moi, c'est UNTRUE.
Un album qui amène la musique à l'état de l'art ultime pour écrire un traité sonore d'une beauté choquante sur la condition humaine.
10/10