Avant-propos
Comment réagir quand un membre fondateur d’un groupe le quitte ?
Ou bien le groupe se sépare, ou alors il remplace le membre et continue, ou encore continue en tentant tant bien que mal de gérer ce départ.
Dans les trois cas, on est en face du même phénomène : on est face à une crise.
Et R.E.M., en 1997, était face à cette crise. Bill Berry, qui avait souffert d’une rupture d’anévrisme lors de la dernière tournée, n’avait plus de goût pour la musique, et quitte en termes amicaux le groupe.
Dès lors, la dynamique du groupe est bouleversée. Si la volonté de se diriger vers un disque plus synthétique et électronique était déjà présente avant le départ, le manque de batteur n’a fait que confirmer ce souhait.
Le désormais trio R.E.M. se partage différemment les rôles, on retrouvera ainsi Michael Stipe à la guitare, un Peter Buck aux percussions et à la guitare basse, et un Mike Mills aux synthés.
C’est donc face à un disque de crise qu’on se retrouve. Un disque maladif, beau et touchant.
Touchant
Touchant, car en partie maladroit, en partie inquiet (on retrouve cette inquiétude propre à Murmur), souvent déchirant.
Le disque traitant dans sa globalité de la capacité à affronter l’adversité, à savoir se relever après la chute, c’est le dépassement de soi dans la douleur ; c’est d’autant plus sincère que c’est une transcription quasi-immédiate de la situation du groupe.
« Up », ce n’est pas ici le sommet, mais la sortie de la crise.
Et quelles crises : la folie, la paranoïa et le suicide dans Hope :
you want to trust the doctors
their procedure is the best, but the
last try was a failure
and the intern was a mess
La recherche de pardon d’un ancien toxicomane dans The Apologist :
I wanted to apologize for
everything I was. So
I’m sorry, so sorry…
La recherche d’identité propre sans tenir compte de remarques extérieures dans Walk Unafraid :
how can I be
what I want to be
when all I want to do is strip away
these stilled constraints
Ce « chien à trois pattes » qu’est devenu R.E.M. signe ici les paroles les plus sublimes qu’il ait jamais écrites.
Beau
Beau, car simple sans jamais être simpliste, l’album s’ouvre sur l’évocateur Airportman, qui replonge directement dans l’atmosphère « sous vide », éthérée de Music for Airports de Brian Eno. Puis se poursuit sur des chansons masquant une beauté trop conventionnelle, pour essayer de toucher du doigt une beauté pure. On évite le trop-plein, on lui préfère l’essentiel, masqué si possible.
C’est le cas entre autre de la ballade Beach Boyesque At My Most Beautiful, quoi de plus simple que de la rendre aussi pleurnicharde que Everybody Hurts ? Un violon en plus, une voix plus marquée, et bingo, R.E.M. tenait son nouveau hit.
Sauf que non, on lui préfère l’économie de moyens, et des paroles cryptiques; sous couvert d’une banale déclaration d’amour, on s’adresse ici à une personne hospitalisée :
I read bad poetry into your machine
(la chanson ayant été écrite de base pour un Bill Berry cloué par la rupture d’anévrisme).
Mais par beauté, je pense surtout à l’incroyable Diminished, où l’on assiste impuissant aux supplications d’un personnage accablé devant un tribunal, se défendant par tous les moyens du meurtre supposé de son amante :
how do I play this ? jealous lover, self defense, protective brother,
chemical dependence
avant de se voir rejoindre par les mélopées d’un Mills transis dans un refrain d’une élégance rare (je n’en trouve de semblable que dans 13 angels standing guard ‘round the side of your bed, c’est dire), et de se voir conclure par une chanson cachée, douce accalmie où le protagoniste s’adresse cette fois à l’être cher.
Maladif
Enfin, maladif car presque oppressant par moment, angoissé, nerveux, et dérangé.
Le livret, qui contient pour la première fois l’intégrale des paroles, mélange ces dernières presque totalement au hasard.
Cependant c’est toujours à travers la musique que cela se remarque le plus. Les morceaux les plus calmes sont régulièrement perturbés.
Ou par des guitares distordues et saturées en arrière-plan.
(Why Not Smile)
Ou par des éléments électroniques divers, allant du bourdonnement aux nappes surprenantes de justesse.
(Falls to climb)
Quant aux plus énergiques, elles ne font exceptions à ce phénomène; Stipe voit sa voix déformée dans Lotus, référence aux lotophages de l’Odyssée d’Homère, tandis que la guitare étrangement funky fait de ce morceau assurément le plus étrange de cet album. Tandis que Hope, version moderne de Suzanne de Leonard Cohen, préfigure d’une certaine façon par sa rythmique syncopée l’Idioteque de Radiohead.
Conclusion
Protéiforme, incertain, peu abordable, Up est un OVNI dans la discographie du groupe, souvent incompris, il ne fait qu’accélérer le désamour alors naissant des autrefois fans, et la chute des ventes entamée depuis Monster.
Pourtant, il est une leçon de savoir-faire, face à l’adversité. Et un véritable joyau pur, sans doute occulté dans un écrin trop grand pour lui.
On dira de lui qu’il est le Kid A de R.E.M.
Je dirais plutôt que Kid A est le Up de Radiohead.