Au cœur des ténèbres
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Cela fera plaisir aux gens qui sont rebutés par les étiquettes : le post-rock n’est plus. Il n’est plus parce que tel qu’il est défini – du rock instrumental lent, mélancolique et puissant – il se résume aujourd’hui à un seul groupe, Mogwai. Ses autres représentants célèbres, soit n’existent plus (Godspeed You ! Black Emperor), soit sont dans la redite depuis longtemps (Explosions in the Sky). ILikeTrains et Sigur Ros sont certes un peu à part puisque les deux groupes ont un chanteur dans leurs rangs, mais tous deux sont catégorisés post-rock par la presse spécialisée. Il faut dire que le climat brumeux instauré par Sigur Ros n’est pas sans rappeler ceux de Godspeed You ! Black Emperor tandis que la métronomie et les arpèges clairs des ILikeTrains évoquent volontiers la linéarité de Mogwai. Cependant Valtari de Sigur Ros et The Shallows de ILikeTrains, à leur manière, ont surtout la particularité de casser leurs modèles respectifs : les premiers en se réduisant à l’une dees ramifications possibles du mouvement, les seconds en lui offrant une dimension pop totalement accomplie.
Il ne s’agit pas de prendre les islandais de Sigur Ros pour de vulgaires plagieurs. Leur identité est forte, construite notamment sur le chant haut perché et mélodique de Jónsi Birgisson. Mais lorsque leur musique se résume, comme sur Valtari, à de longues plages mélodramatiques qui reposent souvent sur un crachin de violon et quelques accords de piano plaqués fébrilement, la similitude avec les passages ambient de Godpseed saute aux yeux. Etymologiquement, mélodrame vient du grec : mélos signifie l’air ou le chant, drama l’action, le drame. Or dans Valtari il y a beaucoup de mélos (on pourrait même parler de sensiblerie), et peu d’action. Les canadiens savaient marier les deux à merveille mais Valtari n’est qu’un appendice de cette formule que Godspeed a érigé en art. Rébarbatif, irritant presque, dans son apathie qui tient finalement plus de la préciosité que de la belle tristesse, Valtari est le symptôme d’un style finalement très étriqué dès lors qu’il ne se détache pas suffisamment clairement des codes érigés par ses créateurs. Où est la tension, où sont les accents dramatiques qui ensorcelaient sur Með suð í eyrum við spilum endalaust, le précédent disque des islandais, qui dévoilait justement un autre visage du post-rock, un post-rock élégant sur lequel on impose enfin la voix comme un instrument à part entière ?
Heureusement, les ILikeTrains ont su quant à eux conserver ce sens de la tension, voire de la tragédie qui colle aux basques du mouvement post-rock, et en particulier à sa variante proposée par Mogwai, gorgée de notes cristallines et de déflagrations soniques. Ce quatuor de Leeds, Angleterre, a cependant su se détacher très clairement de cette influence. Déjà en concentrant toute l’énergie de leur musique sur des morceaux au format pop de quatre ou cinq minutes seulement quand les standards des écossais de Mogwai durent volontiers le double. Ce n’est qu’un élément de forme, car dans le fond, The Shallows n’a plus grand-chose à voir avec le post-rock : la voix caverneuse et inquiétante de leur chanteur David Martin joue les premiers rôles, au même titre que pour Sigur Ros, certes, mais c’est surtout sur ce qui se joue derrière que la différence est de taille. Adieu aux montagnes russes soniques : les entrelacs de guitares, qui jouent aussi bien sur le registre rythmique que mélodique, créent un canevas qui ressemble beaucoup plus à celui d’une chanson « classique » avec couplet-refrain, qu’à une longue montée en puissance. ILikeTrains affiche ainsi sa force dès les premières secondes quand les groupes post-rock aiment prendre leur temps pour développer toute leur puissance. Techniquement, chez ILikeTrains il ne reste finalement du style qu’une réminiscence lointaine, identifiable par l’utilisation de delays et de réverbérations, de lignes de basses sobres et efficaces, et d’un groove vénéneux.
Malgré leur dénominateur commun (cette étiquette qu’ils partagent, bon gré mal gré, on ne sait pas !) il n’y a pas de cohérence, de définition commune possible entre un groupe qui cherche en vain à entretenir la flamme sans souffler sur les braises, et celui qui planche sur un nouveau moyen de faire du feu. En d’autres termes, le regard islandais de Sigur Ros est glacé dans un rétroviseur poussiéreux, quand celui d’ILikeTrains se tourne vers un horizon (un style ?) qui reste à définir.
Créée
le 2 janv. 2019
Modifiée
le 14 juin 2024
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