Battements Électroniques du Printemps
Est-ce le grand jeu des musiciens aujourd’hui, ou y suis-je si particulièrement sensible que je n’entends plus que ça : la musique électronique se fait organique. Végétal, le second volume des œuvres d’Émilie Simon, c’est ça : tout un programme aux ramures profondes. Toute l’ampleur nécessaire à l’épanouissement de la plante Simon aux premières lueurs du soleil.
Dès les premières mesures d’Alicia, Émilie Simon nous invite tout en douceur dans son univers, avant l’explosion harmonique du second couplet, et les envolées des violons. Une passion charnelle et vivace. Une violence qui se déchaîne encore dans Fleur de Saison, hantée d’un puissant désir de vivre le printemps « dès les premières lueurs ». Sweet Blossom est une des plus belles chansons de l’album : un mécanisme animal, une texture hybride, un optimisme lumineux : « the hapinness will shine, the hapiness will grow ». C’est l’air qui me reste en tête après l’album, envoûtant. Ses chœurs qui s’effondrent nous emmènent, et je me laisse perdre avec plaisir dans l’univers organique et confortable, merveilleusement enchanté d’Émilie. « Je suis enterrée vivante », chante-t-elle sur Dame de Lotus. L’hypnose est végétale, les déformations naturelles de sonorités expansées nous écrasent dedans, comme dans un cocon sensuel.
Il y a quelques comptines, plus sobres, plus poétiques. Tendres et intimistes. Le Vieil Amant en fait partie, sonnet tendre à l’atmosphère étrange de mécanique désuète, comme bricolée de fragiles fatras dans une antique horlogerie un peu déglinguée, mais mélodieuse : ça carillonne. Intimement. Toute une vibrante mélancolie se libère dans les cordes un moment, avant de rentrer, de s’oublier dans les plaintes murmurées du violoncelle. Opium en est une autre : une espèce de légèreté figée, la suspension de l’être dans ces notes étouffées contre du verre fragile pour faire résonner le solide éphémère. « Je me laisse aller, me laisse inhaler », de la dentelle sur plusieurs couches de texture. Swimming, aux battements sourds dessous l’eau, laisse un ciel aquatique s’étendre sur cette chanson de foi fantôme, « I believe in your smile everyday », les envolées aériennes pèsent, lourdes, jusqu’à l’évaporation finale. Alors une comptine amoureuse nous dépose sur le coton d’une herbe fraiche de rosée. Il y a du fantastique In The Lake : Émilie Simon danse avec les elfes, et se mêle aux esprits d’une forêt luxuriante, doucement discrète et accueillante, pleine de magie fabuleuse.
L’electro dure, rattrapée par les cordes saillantes d’une poésie lugubre, une atmosphère de sorcellerie, où se raconte la formule magique d’un ensorcellement tragique, flotte comme un souvenir bien vaporeux. Rose Hybride de Thé a justement l’intensité d’un thé noir bouillant au réveil. Alors Émilie Simon chante la solitude. Elle raconte l’isolement, le flétrissement et l’ennui d’Annie, sa vieillesse précoce et la mort au bout. Sans violence, tout en douceur. Elle résume une vie de rien, jusqu’à la poussière de l’oubli, et dans son histoire désœuvrée, on pense à la résignation d’Eleanor Rigby. Piano intime, My Old Friend égraine les souvenirs « almost as if the sky fell on my shoulders » : le départ retenu quelque part dans la mémoire, toujours, comme la porte d’un monde de souvenirs et de regrets. Les couplets clamés légers dans les chœurs nous envolent vers un confort incertain, la sensation fragile est glissante, c’est la précarité des affections humaines.
Émilie Simon termine En Cendres : « je ne suis qu’une forme aux contours incertains ». Elle chante la fragilité de l’être, les limites de l’individu. « Je ne fume plus mais je pars en cendres », les accents de guitare rock, aussi secs et arides que le désert, sautillent sur un rythme soutenu d’étincelles de gaz prêtes à s’embraser. Le dénuement est total avant l’explosion mélodique finale à l’ampleur profonde. Le temps se dilate, un abysse du cœur se creuse dans une interminable attente, les chœurs prennent des allures polyphoniques, et résonnent, pleins. L’adieu est sacré. Jusqu’à l’irréductible battement de la vie silencieuse.
Le second album d’Émilie Simon confirme le grand bien qu’on pensait d’elle. Une œuvre ciselée de rosée fraîche, à la nature electro-organique confortable, dont l’ampleur des compositions fait penser à Björk : les formes minutieuses, le goût du détail, les sonorités cristallines. Et la mélodie portée par un irrésistible envoûtement, primaire et animal. Émilie Simon, sans le dire, nous rappelle à notre environnement, vers une nature riche, protectrice et nourricière. Elle chante un cocon de verdures soyeuses, un doux printemps.
Matthieu Marsan-Bacheré