Il y a quatre hommes qui m'ont particulièrement fait, autant au niveau de ma personnalité durant mes années collège qu'au niveau de mon rapport au monde et à mes travaux. Jacques Brel m'a appris l'aventure, la sueur, la philosophie : dans ma famille imaginaire, il serait mon père spirituel ; Serge Gainsbourg m'a appris la provocation, l'Art de l'incendie, l'affirmation de l'indépendance, et surtout ne rien prendre au sérieux : lui, il serait mon pote imaginaire ; Damien Saez m'a appris le combat, le respect des valeurs, la colère : lui serait mon grand frère imaginaire. Léo Ferré, lui, m'a appris la Beauté, les grands espaces émotionnels et les Larmes ; lui, j'aime bien pensé que ce serait mon Tonton de cœur. Dans ces quatre cas, ils m'ont appris la Beauté de la Fraternité, moi qui souffre depuis toujours de n'avoir pas eu de frère biologique.
Parmi les plus belles choses que m'a transmis Léo, c'est l'amour de la Poésie, l'Art des Arts selon moi, celui qui transcende comme traverse toutes les plus belles œuvres. Des poètes qu'il a mis en musique, le seul que je connaissais avant lui était Baudelaire. N'importe quel artiste, n'importe quel connaisseur de son oeuvre, n'importe qui serait d'accord sur cette simple affirmation : mettre en valeur ces poètes et les glisser dans les oreilles de son prochain, c'est la plus belle chose qu'il ait jamais faite. Un véritable service culturel public. C'est grâce à Léo que je connaissais "Les Poètes de 7 ans" par cœur à 14 ans, pas à mon prof impotent de français. Dans le cas de Rimbaud et Verlaine, ceux qu'il appelait ses frères (d'où mon introduction en forme d'introspection personnelle, Léo et moi avons plus d'une chose en commun !), je dois admettre qu'il s'est surpassé. J'aime beaucoup Rimbaud, mais je n'ai jamais accroché à Verlaine, malheureusement. J'aurais aimé, mais je trouve son style trop simple, malgré son incontestable don du choix des mots. Autant Rimbaud, Baudelaire ou Apollinaire dépassent leurs vers et inventent tout un tas de réflexions et interprétations possibles, autant Verlaine décrit et c'est tout. Après, bien évidemment, c'est personnel. C'est pourquoi je n'ai aimé ses textes... que lorsqu'ils ont été chantés par Léo.
Juste après "L'espoir", les meilleures musiques de Léo sont sur cet album. Il y a de tout. C'est un voyage d'une heure dans la Beauté au Zénith, au pays de la Poésie. Tout, sur ce disque, est luxe, calme et volupté. En plus, c'est super intimiste, on sent bien qu'on est en compagnie de trois poètes albatros, en train de parler à nos subconscients sentimentaux. Parfait pour accompagner nos nuits mélancoliques ! Entre le damné "Chanson de la plus haute tour", l’imagé "Il patinait merveilleusement", le simple "Soleils couchants", le cauchemardesque "Les Assis", le romantique "Âme te souvient-il", le mystique "Les poètes de 7 ans" (le meilleur morceau selon moi, vraiment incroyable, je crois que c'est la seule adaptation dont je suis certain que Rimbaud lui-même aurait approuvé !), le cynique "Les corbeaux", le fondant "Green", le sublime "Je vous vois encor", le lyrique "O triste, triste était mon âme" et le conte "Les chercheuses de poux"... Le jonglage des émotions est permanent, et s'il y a des baisses de rythme, je peux vous assurer que la magie reste. Cet album est un miracle de Grandeur.
Alors, merci Tonton. Merci de m'avoir fait découvrir la Poésie, parce que je sais que personne d'autre que toi l'aurait mieux fait. Tu es parmi eux, je le sais, et tu es avec moi dès que j'ai besoin de Fraternité. N'oublie pas : l'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable. J't'embrasse.