Max Richter a deux carrières. Celle, assez exposée, de compositeur de musique classique minimaliste (certains l’incluent même dans le courant électronique, notamment pour l’utilisation fréquente d’infrabasses) ; et celle, plus discrète, de compositeur de musiques de films. Sur ce second plan, il faut bien reconnaître que Richter a rarement été appelé sur des projets dignes d’intérêt malgré des débuts en fanfare (l’incroyable symbiose entre l’animation douce-amère de Ari Folman et les cordes déchirantes de Richter sur Valse avec Bachir). Cette deuxième carrière, stakhanoviste (trente-sept longs métrages mis en musique depuis 2007), peine à s’imposer dans le milieu cinéphile, et Voices pourrait être une bonne explication de cette dichotomie.
Il n’y a rien de surprenant à ce que le musicien allemand ait été happé par le monde du cinéma. Il y a toujours eu dans sa musique un sens de la narration et de la dramaturgie très appuyé, qui confine parfois au tic. Ses orchestrations amples, simples et pleines invitent invariablement à se construire ses propres histoires (mélodramatiques de préférence), ou tout du moins, à voyager dans sa tête, le cœur haut mais gonflé de mélancolie. La musique de Richter est une musique de la nudité des sentiments, et la caler sur des images comporte plus de risques qu’on ne pourrait le penser. Car oui, les compositions de Richter sont à haute teneur cinégénique ; mais presque trop. D’une certaine façon, elles vampirisent l’image pour mieux séduire l’oreille du spectateur et lui « imposer » sa fragilité exacerbée. Et lorsque le réalisateur n’est pas à la hauteur (dernier exemple en date, Hostiles), il suffit que la mise en scène soit affectée ou maniérée pour que la musique de Richter souligne tous ses défauts.
Voices a ceci de particulier dans la discographie de Max Richter que ce dernier met pour la première fois sur un pied d’égalité (en termes de mixage et de présence) des voix récitant un texte (la déclaration des droits de l’homme), et sa musique. Au départ rébarbative, parce que très itérative, la déclamation, accompagnée de l’éternel spleen Richterien (et de ses fameuses marottes, entre minimalisme de chambre et élans lyriques), prend une tonalité finalement cafardeuse, et en même temps, se revêt d’une indicible beauté. La narration est bel et bien là : les voix s’entrelacent parfois, comme au cinéma, et si elles ne dialoguent pas, elles rythment et structurent clairement les constructions mélodiques de Richter.
Exhalant aussi bien ses manquements que l’espoir porté par le texte, Voices parvient à sublimer des lectures évoquant nos droits individuels, et à les projeter en nous pour nous ouvrir au monde, à ses pires horreurs comme à sa magnificence. L’expérience, au départ austère, se révèle indispensable et assez addictive.