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Stupidity is a choice
Sur la couverture de Ye, son 8ème album studio, Kanye a fait inscrire la phrase suivante : « I hate being bi-polar it’s awesome ». C’est cette phrase qui servira de ligne directrice tout au long de l’album, car le thème prédominant de l’album est la santé mentale de Kanye. Ceci est peu étonnant lorsque l’on regarde les événements ayant précédé et entouré la sortie de cet album. En scindant sa fanbase sur les réseaux sociaux avec ses propos polémiques sur l’esclavage, en affichant son soutien à Donald Trump, en publiant le navrant « Lift Yourself » qui est une tentative ratée de trolling, en prenant des décisions à l’emporte-pièce ou en faisant son album en quelques semaines, Kanye suscite des interrogations sur sa santé mentale.
Cependant, contrairement à ses précédents albums, Kanye ne définit pas son récit. Il laisse ses émotions surgir, comme lorsqu’il va rugir à la fin de Yikes, laissant un aperçu de son état d’esprit, sans l’expliquer réellement.
La bipolarité de Kanye West : un concept bancal, faussement spontané et totalement calculateur
L’album Ye peut se résumer à la phrase suivante : c’est le but.
Kanye West a abandonné des morceaux entiers initiaux prévus pour l’album pour finalement tout reprendre à zéro en un court laps de temps, menant à un produit précipité et inachevé : c’est le but.
Kanye est resté volontairement flou quant au titre, à la couverture et à la structure de l’album afin d’exacerber son « trouble » « bipolaire ». C’est le but.
Cependant, ces actions n’ont pas de notion qualitative et ne disent rien du niveau de l’album. Depuis sa réapparition sur le réseau social Twitter à l’occasion de la sortie de Ye, chaque action, chaque polémique, chaque prise de parole semble avoir été préfabriquée. Ces déflagrations ont donné à Kanye une occasion d’apparaitre comme étant contrariant, controversé et problématique. En d’autres termes, c’est de la publicité à peu de frais.
Ce n’est pas un hasard si le carnaval de singeries de Kanye a coïncidé avec le lancement de son album. Cela montre seulement son insincérité lorsqu’il est question de sa « bipolarité ». Ce n’est pas une coïncidence si Kanye fait référence à sa phrase polémique sur l’esclavage dans le morceau Wouldn’t Leave. Kanye se défait et s’excuse dans ce morceau, lettre d’amour au sujet de sa relation compliquée avec Kim Kardashian, où il souligne entre autre l’immense courage de sa femme à supporter ses frasques. Sur No Mistakes il explique que l’année 2018 fût difficile pour lui, entre retours agressifs sur ses propos polémiques et dettes financières.
En dépit de son introspection, la nature calculée de Ye et ses insuffisances musicales rendent chacun des couplets de Kanye inintéressant. Yeezus, avec tous les défauts qu’il avait, représentant mieux l’état mental de Kanye, que l’album Ye.
Ye : un album sauvé par ses invités
Les refrains et interventions de Kid Cudi, PARTYNEXTDOOR, Charlie Wilson et 070 Shake sont beaucoup plus qualitatifs et intéressants que les couplets faussement torturés de Kanye. L’album Ye parvient à se doter de quelques moments de grâce, notamment grâce à ses invités, qui le tirent indéniablement vers le haut.
C’est particulièrement le cas sur Ghost Town, meilleur morceau de l’album, qui est un grand bol d’air. A la limite du rock, la mélodique du morceau est tout simplement incroyable et PARTYNEXTDOOR, de sa voix éraillée, contribue largement à la haute qualité de ce morceau, 070 Shake également. Même le chant mi-hésitant, mi-fragile de Kanye ajoute une touche d’imperfection qui est appréciable car surhaussé par la mélodie du morceau et sa guitare enjouée.
Malheureusement ce morceau fait figure d’exception sur l’album. Paradoxalement, Ye est l’album le plus court de Kanye West, mais également le plus chiant à écouter en entier. Cela commençait pourtant bien avec I Thought About Killing You, où l’intro spoken word soutenue par un synthé flou et des basses d’arrière-plan assourdissantes était très intéressante et tranchait violemment avec l’optimisme religieux d’Ultralight Beam du précédent album Life Of Pablo.
Malheureusement chaque bonne idée étant suivie d’une mauvaise, la seconde partie de la production, avec l’apparition des drums, est horrible et compresse Kanye dans un flow hachuré caricatural des pires trappers, rendant son intervention anecdotique. Dommage car le morceau aurait pu être détonant et différent.
Par la suite ça devient très fastidieux, la production étant étonnamment faible tout le long de l’album hormis sur Ghost Town et Wouldn’t Leave à la rigueur. Kanye n’a plus le sens du détail qui autrefois faisait sa renommée, les productions sont horriblement banales et ne tiennent même pas la comparaison face à celles de DAYTONA, album de la cuvée Wyoming qu’il a pourtant produit entièrement.
Le morceau Yikes est assez faible, mais la line sur le mouvement MeToo dénote quand même une certaine envie de coller à l’actualité et c’est assez bien tourné, son cri de super héros où il fait de la bipolarité une force, est assez drôle. All Mine est tout simplement navrant à l’écriture, ponctué de punchlines gênantes « Let me hit it raw like fuck the outcome/none of us would be here without cum », « I love your titties because they prove/I can focus on two things at once » et la production est également aux ras de pâquerettes, toutefois sauvée par la bonne idée de sample indus’ en 2ème partie.
Pour pleinement comprendre l’échec qu’est Ye, il faut se remémorer My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Après s’être exilé pendant de longs mois à Hawaï, ses efforts laborieux pendant des mois avec une légion de producteurs et de collaborateurs sont l’antithèse d’un séjour de deux semaines passé dans un studio du Wyoming.
Le contenu, extrêmement faible, n’a d’égal que sa production déconcertante. Par-dessus tout, l’absence de véritable trouble mental sur un album prétendument consacré à ce sujet est à ce jour le plus grand échec de Kanye, compte tenu de son aptitude à la sophistication thématique. Mais bon, c’est le but.
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