Il y a une chose à laquelle KANYE WEST nous a habitué c'est nous étonner. Dans le fond et la forme. Et à chaque sortie d'un nouvel album. Nous étonner dans le sens le plus primaire. A chaque fois, on ne s'y attend pas, on ne peut pas anticiper...
On ne pouvait pas anticiper "YE". Impossible.
Mais qu'est ce que "YE"?
Moins ténébreux que "YEEZUS", moins ample que "THE LIFE OF PABLO", pourtant en 24 minutes, Kanye West fait presque plus que dans toute sa carrière. Il la résume, il la voyage, l'absorbe.
"The most beautiful thoughts are always besides the darkest”. (Les plus belles pensées côtoient toujours les plus sombres). Ce sont sur ces mots que Kanye West ouvre son nouvel opus. Génie torturé, mégalo tempêtueux, KANYE a toujours reflété l’image d’un personnage aux failles aussi immenses que son talent. Jamais cette dualité n’est apparue aussi flagrante et maîtrisée que sur son nouvel album. Album d'une tension magnifique. D'ailleurs c’est dans cette fascinante tension que réside la clé du projet, et en particulier dans sa sublime pochette, sur laquelle on peut lire « I Hate Being Bi-polar, It’s Awesome » (« Je déteste être bipolaire, c’est génial »).
Kanye West met en mots les forces qui l’animent : l’amour, la confiance, la négritude, le sexe, le trouble bipolaire. On le croyait en train de partir en vrille, il était en fait en train d’expérimenter ses limites, comme pour mieux tracer ses propres contours.
Musicalement, cette capacité à enfin canaliser son énergie saute aux oreilles. On y décèle un peu du Kanye des débuts, mais avec quelque chose de plus écorché. Le rappeur de Chicago revisite la soul mélodique de ses trois premiers disques, mais sous une forme moderne, avec le minimalisme abstrait et la nudité magistrale de son album "808s & Heartbreak". Ancré dans le gospel et la machine, ses deux religions, KANYE mêle l’hostie et les drogues douces, les choeurs féminins et les voix synthétiques, le piano d’église et les sonorités distordues de synthétiseur des années 2000. C'est fascinant.
Cette atmosphère sonore, à la fois classique et moderne, est complétée par une écriture époustouflante, à la fois instinctive et intelligente. L’un des traits les plus remarquables de West est sa capacité à sentir l’air du temps, à absorber son époque et à la restituer comme une éponge.
Kanye est un bavard, un besoin compulsif de s’exprimer, de mettre des mots sur tout ce qu’il pense, quitte à aborder les sujets qui fâchent et qui blessent.
Les autres artistes présents en featuring sont d’ailleurs eux aussi à la hauteur de l’enjeu.
20 minutes de fascination...
Et lorsque vient le dernier morceau de l’album, « Violent Crimes », on touche franchement à la grâce. KANYE y aborde le sujet de la paternité, entre brutalité et tendresse. Les paradoxes et les tensions, encore et toujours, jusque dans cette magnifique formule : “It was all part of the story, even the scary nights” (“Tout faisait partie de l’histoire, y compris les nuits effrayantes”).
Les belles pensées et les pensées sombres, comme au début de l’album : quel meilleur moyen de résumer la carrière de Kanye West.
Name one genius that ain’t crazy!” (“Cite-moi un génie qui n’est pas fou!”), criait-il sur son précédent album. Il sait désormais qu’il n’est pas fou, ni irresponsable. Bi-polaire? on dirait bien. Mais voilà un artiste qu'on aimerait rencontrer. Non pas pour le corriger, mais pour encore mieux comprendre ses forces et ses faiblesses. Qu’on soit d’accord avec lui ou pas, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Kanye West semble avoir repris le contrôle de lui-même.
Nous le contrôle, on le lui a laissé, on ne peut lutter. Juste se laisser aller et qui sait, se retrouver soi même aussi peut-être.
Car quel plus beau projet que de s’appartenir à nouveau?