Ombres portées
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le 28 oct. 2015
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« La musique est l'expression de l'union de la terre avec le ciel » (Livre des Rites)
Bien que compilé à l'époque de Confucius (V-VIe av. JC), ce Livre des Rites, issu des Classiques chinois, prend racine dans des traditions millénaires. La citation plus haut, en particulier, fait écho à la légende de l'Empereur Jaune, Huángdì, qui au cours de son règne de -2698 à -2597 av. J.C, aurait chargé le savant Ling-Lun de reproduire à partir de flûtes de bambou le cri du fenghuang, le mythique phénix chinois, dont l'apparition annonçait l'harmonie du règne de l'empereur. La flûte de bambou qui a servi à établir ce son fondamental (et les onze hauteurs en découlant) fut nommée houang-tchong, la cloche jaune, en référence à la couleur de la cour impériale. À chaque nouvelle dynastie, la longueur de la cloche jaune était recalculée par les savants, redéfinissant leur système musical, et accordant ainsi le règne du nouvel empereur avec l'univers.
Cette volonté de faire résonner les sons en consonance avec un ordre universel se retrouve dans le premier album de Jasmine Guffond, le bien nommé Yellow Bell. Un premier essai sous son vrai nom, plus exactement, car cette musicienne australienne, aujourd’hui basée à Berlin, s’est d’abord fait connaître par ses nombreux projets collaboratifs (Minit, Alien Christ, ..) ou derrière son pseudonyme Jasmina Maschina. Yellow Bell vient s’ajouter au catalogue de Sonic Pieces, sur lequel on trouve bon nombre d'albums indispensables (on peut citer notamment Pan Tone d'Hauschka & Hildur Guðnadóttir, Wintermusik de Nils Frahm, Poems from a Rooftop de Dictaphone ou encore Flare de Erik K Skodvin), et apporte un agréable contraste aux autres sorties, majoritairement orientées classique contemporain.
Il se dégage au travers de cet album une sensation d’apaisement. Comme si les forces en présence amenaient les éléments qui parsèment ce disque à s’accorder d’eux-mêmes, à se poser tour à tour sur ce canevas fragile, puis à évoluer de concert vers un équilibre commun. Manipulations électroniques, bruissements, ou notes des rares instruments sont autant de protagonistes d’un délicat ballet, orchestré par la douce voix de Jasmine Guffond. Une voix en arrière-plan, diffuse tel le lointain écho d’une étoile distante, et qui guide ces funambules de son éclat.
Après un premier titre éponyme où elle étalonne les diverses pièces de sa toile, tâtonnant afin de juger des différentes structures qui s'offrent à elle, elle semble vouloir perturber les motifs qu’elle tisse. En jouant sur des changements d’atmosphère ou en faisant prendre à ses compositions une direction tout autre que celle entamée initialement, elle éprouve ainsi ses propres schémas et teste leur résistance.
Ce ne sera que lors du titre final, RR Variation, point d’orgue de l’album, que la dynamique se déploie avec durabilité. Les différentes sources sonores sont ici toutes réunies, s’ajoutent au fur et à mesure et complètent les interstices que laissent leurs ombres respectives. Dans un agencement méticuleux, elles prennent progressivement plus de hauteur et forment alors une remarquable pièce d’horlogerie.
On ne peut s’empêcher de penser au fabuleux film Les Harmonies Werckmeister de Béla Tarr, où un des personnages remettait en cause les travaux d’Andreas Werckmeister, responsable selon lui d’avoir rompu la magie de l’harmonie divine par ses accords faussés. Ce Yellow Bell ne vise certes pas à rétablir un ordre céleste, mais il installe une harmonie indéniablement lumineuse.
http://www.swqw.fr/chroniques/drone-ambiant/jasmine-guffond-yellow-bell.html
Créée
le 10 sept. 2015
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