J’ai été réveillé par quelques accords presque maladroits plaqués sur le piano à queue blanc qui trône au milieu de mon salon inondé ce jour là par la lumière naissante du petit matin.
Des accords à peine dans le tempo, comme ceux que frappait John Lennon à l’époque du Plastic Ono Band, comme ceux que tout musicien amateur se plaît à enchaîner pour accompagner laborieusement une chanson qu’il aime.
Et puis une voix de femme, un peu couverte, un peu cassée est montée d’en bas. « I don’t blame you » chantait-elle, avec une telle présence que, loin de m’inquiéter de savoir qui avait osé pénétrer dans ma propriété puis dans ma maison, je me suis accroupi dans un coin mort, en haut de l’escalier qui mène à la mezzanine et j’ai écouté sans bouger.
Bien conscient de vivre un moment privilégié, advienne que pourra.
Et par quatorze fois, cette voix fragile et pleine d’émotion a déroulé simplement quelques notes, quelques paroles, dans la pureté d’un dépouillement presqu’absolu.
Pas seulement au piano.
Egalement avec une guitare électrique branchée sur mon ampli Marshall à lampes; mais sans utiliser les effets. En son direct, comme ça, elle chantait.
Et moi j’ai fini par me dire qu’elle avait choisi de débarquer comme ça, chez moi, pour enregistrer des démos.
Des démos, vous savez, ces morceaux enregistrés à l’état brut, avant qu’ils soient polis par la production, les effets et les arrangements.
Parfois, je percevais aussi une voix d’homme, grave et belle, murmurante, soulignant délicatement le chant de la fille.
J’ai même entendu par moment une petite formation à cordes ponctuer superbement ses mélodies. Et tout ça à peine perturbé de temps à autre par le tumulte d’une batterie les rares fois que le volume de l’ampli était un peu poussé, comme si elle voulait s’assurer qu’il n’y avait bien personne dans la maison.
Recroquevillé dans l’ombre, plutôt que de me demander qui ça pouvait bien être, je cherchais à savoir à quoi ça pouvait bien ressembler, cette musique si simple mais si intense, cette voix authentique et sans artifice, cette inhabituelle sobriété.
Lennon, Bob Dylan, Lou Reed, Leonard Cohen… ceux qui savaient nous bouleverser avec deux ou trois accords. Beth Gibbons aussi, pour la voix. Mais c’est curieux, je pensais aussi à Nirvana, Pearl Jam et consorts quand ils jouaient débranchés.
Ces mélodies touchantes et originales, elles me font oublier les fourmis qui envahissement mes jambes compressées depuis près d’une heure.
Le piano s’est tu progressivement.
Engourdi, quand j’ai pu enfin sortir de mon trou et me traîner au salon, c’est pour trouver juste deux cendriers pleins, mon ampli resté allumé et un chat inconnu alangui sur le piano.
J’avais rêvé, sûrement, mais, quoi qu’il en soit, il me faudrait du temps pour m’en remettre.