Bowie tâtait à la Soul depuis quelque temps, s'efforçant, dérisoire et pénible, de noircir sa blanche électricité. Et puis "Young Americans" arriva, objet parfait de sensualité détachée et de cross-over moderniste : cinq ans avant tout le monde, Bowie posait le premier jalon de ce que les 80's allaient être, pour le meilleur et souvent le pire : une époque chic et choc de brassages de genres, cristallisée autour des fantasmes de beauté plastique. Mais "Young Americans" a en lui l'antidote de son intelligence : comme une nostalgie névrotique de la Soul éternelle.
"Young Americans" est un album dont l'importance qu'il revêt pour moi dépasse clairement son importance objective dans la discographie de David Bowie. Car c'est un disque que j'ai usé durant des mois à sa sortie - j'avais dégoté un superbe vinyle en pressage américain, avec une qualité sonore extraordinaire, que je ne retrouve pas sur le version CD que j'ai aujourd'hui - et qui m'a fait découvrir à 17 ans tout un pan de la musique américaine, la soul, le philly sound, que je ne connaissais alors pas encore. En deux mots, c'est un album qui m'a rendu (encore plus) amoureux des femmes alors que paradoxalement je passais des heures à regarder les sublimes photos de Bowie de l'époque, et qui m'a en même temps rendu accessible une musique noire américaine qui m'était encore inconnue.
De ce fait, je ne pourrai jamais considérer "Young Americans" comme un disque mineur dans l'incroyable discographie de Bowie, même si je suis parfaitement disposé à accepter les deux critiques habituellement faites à son égard :
1) c'est un album "parenthèse" après la période glam-rock et avant la géniale période "avant-gardiste" qui va suivre, un album qui voit Bowie copier avec passion, mais sans chercher à le transcender, un genre de musique qu'il aime et dans lequel il cherche une nouvelle inspiration
2) c'est un album qui ne contient pas que de grands titres (même si "Young Americans", la chanson, est quelque chose d'immense, à mon avis !) : les chansons sont un peu inutilement délayées, étendues, et en perdent leur impact initial ; la version de "Across the Universe" est franchement pénible, etc.
Oui, c'est vrai, mais...
1) ... qu'est-ce que Bowie chante bien ici, trouvant cette "nouvelle voix" de crooner post-moderne qui va certainement contribuer à sa future gloire !
2) ... qu'est-ce que les musiciens qui jouent ici - bénéficiant d'ailleurs de la production encore une fois impeccable de Tony Visconti - sont brillants ! Carlos Alomar, qui va devenir un homme-clé de la métamorphose bowienne, apparaît, et David Sanborn fait un travail merveilleux au saxophone.
Et puis, et même si c'est une chanson que peu de gens ont remarquée, "Can You Hear Me?" est un triomphe absolu de romantisme et de sensualité.
[Critique écrite en 2021, avec comme introduction un petit texte écrit en 1990]