"Zuma" est un album compliqué à "juger", et on se rend compte que les avis des uns et des autres varient beaucoup à son sujet. Je me souviens qu'à sa sortie, nous n'avions pas été enthousiasmés outre mesure, le jugeant pas tout à fait "cohérent" (mais que venait donc faire ici un "Through my Sails" estampillé CSN&Y ?), clairement un peu "léger" ("Stupid Girl" ? Allons donc !), comme une version inférieure de "Everybody Knows This Is Nowhere". Seuls "Danger Bird" et "Cortez the Killer", deux amples sagas électriques traversées de solos épiques, surhumains, de Neil nous semblaient dignes de la postérité. A notre décharge, il faut rappeler que nous sortions alors de l'enchainement parfait de la "ditch trilogy" ("Time Fades Away", "Tonight's the Night" et "On the Beach"), suite de chefs d'oeuvres déchirés et déchirants, et quelque part, nous n'avions pas vraiment envie que notre "dark hero" aille mieux et nous refasse des chansons country du genre de "Looking for a Love", avec son refrain presque ensoleillé (... tant qu'on ne fait pas attention aux paroles !) qui cite vaguement le "Obladi Oblada" des Beatles.
Aujourd'hui, on a tous tendance, avec la sagesse que confère le recul et la connaissance de ce qui s'est passé ensuite, à réévaluer "Zuma", et à l'inclure sans états d'âme parmi les meilleurs disques de l'âge d'or de Neil Young : la merveilleuse efficacité des mélodies, presque pop, et l'abrasiveté des guitares qui inspireront, on le sait, le mouvement grunge quelques années plus tard, contribuent à construire un album paradoxal, tout à la fois positif et menaçant. Et puis, il y a l'incroyable "Drive Back", sur lequel nous étions passés trop vite, et qui est d'ailleurs peu joué en live, mais qui représente pourtant une sorte d'étalon-or de l'efficacité "Rock,'n'Roll" de Neil : riff imparable, mélodie superbe, agressivité dissimulée par l'habituelle pesanteur du Crazy Horse (un groupe que l'ami Dylan, qui passait souvent dans le coin à l'époque, trouvait purement et simplement mauvais, et qui est pourtant essentiel à la réussite absolue de cette musique)... on tient là la recette miraculeuse qui va nous donner ensuite bien des merveilles comme "Hey Hey My My" ou "Rockin in the Free World"...
Et, bien sûr, hier comme aujourd'hui, "Cortez the Killer" reste une promenade poignante au bord d'un gouffre immense qui s'ouvre sous nos pieds, un abime de culpabilité et de tristesse, une preuve éternelle du génie de Neil Young.
[Critique écrite en 2019]