Suite et fin du deuxième run de Cockrum sur la série dans cette intégrale de 1982, épaulé seulement pour 3 épisodes par Bill Sienkiewicz, dont le talent n'est plus à démontrer par ailleurs, mais qui ne sied guère aux X-Men, si bien qu'il apporte une respiration au sein de l'album de par son style particulier sans pour autant élever particulièrement le niveau artistique de l'ensemble.
Cockrum, quant à lui, est un artiste que j'estime car je lui reconnais de nombreuses qualités, comme le dynamisme de sa mise en page et de ses dessins, qui conviennent bien à une série pleine d'action comme les X-Men; ses splash pages régulières ajoutent encore plus de tension et d'impact; l'attention portée à l'expressivité de ses personnages, le soin apporté à ses designs de créatures extra-terrestres ou à ses vaisseaux futuristes sont autant de qualités à mettre au crédit de l'artiste.
Mais il a aussi certains défauts qui, sur la durée, lassent et prennent le pas sur les aspects positifs car cela impacte l'appréciation générale des histoires qu'il illustre: le manque de justesse de certains visages (Tornade et Kitty, notamment); le manque de respiration de ses cases, qui souvent sont trop riches et donnent une sensation d'encombrement qui nuit à la lisibilité; et, bien que ses planches soient généralement dynamiques, il y a un manque de changement d'échelle dans la représentation de ses personnages, et donc de variation dans la mise en scène dans l'espace des héros, renforçant encore ce sentiment de lassitude général au fil des nombreux épisodes, pas aidés par les scénarios de Claremont. En effet, les scénarios sont à la fois denses et peu originaux, il y a donc une surabondance de matière peu intéressante.
-L'intégrale débute par l'épisode où Kitty raconte une histoire à la jeune sœur de Colossus, Illyana. Un récit d'aventures charmant où nos personnages favoris sont représentés de manière décalée, mais franchement sans intérêt. Si l'on pouvait choisir les épisodes qui composent les intégrales, clairement celui-ci passerait à la trappe.
Commence ensuite la très (trop) longue saga des Broods qui va concerner 8 épisodes sur les 13 que propose cette intégrale et ne s'achèvera qu'au début de l'intégrale suivante! Une histoire alambiquée, mélange d'influences telles que Star Wars et Alien, avec des enjeux élevés (les X-Men sont en grand danger certes, mais on se moque un peu du sort de Lilandra et des Shi'ars) que je vais résumer.
-Corsaire s’échoue devant le manoir des X-Men, poursuivi par des créatures extra-terrestres, les Sidri, envoyées par les Shi'ars qui pensent qu'il fait partie des conspirateurs ayant enlevé l'impératrice Lilandra et massacré des hauts dignitaires. Cyclope et Tornade lui viennent en aide (Scott apprendra alors que Corsaire est son père qu'il croyait mort depuis 20 ans), et après s'être débarrassé des Sidri, ils sont téléportés dans un vaisseau Shi'ar (ainsi que les autres X-Men qui occupent l'ancien QG de Magnéto sur une île perdue) devant des responsables et la garde du pouvoir impérial Shi'ar. Ces derniers veulent utiliser le lien psychique qui uni Xavier et Lilandra pour la localiser sur Terre, et ainsi la récupérer ou la venger, avec pertes et fracas s'il le faut pour les humains. Xavier obtient un délai de 24h pour s'en charger afin d'éviter un massacre. Les X-Men repartent donc sur Terre (sauf Kitty et Diablo laissés en otage) au QG des vengeurs pour solliciter leur aide mais ils n'y trouvent que Tigra. Soudain Deathbird (sœur de Lilandra qui réclame le trône), aidée par des créatures extra-terrestres, les Broods, attaquent les X-Men afin de les capturer car ils représentent des hôtes de choix pour les Broods qui peuvent implanter des œufs dans des corps étrangers et ainsi développer leur potentiel génétique. Nos héros se battent vaillamment et font fuir leurs ennemis, mais Colossus est grièvement blessé et Deathbird a réussi à enlever Xavier qui se réveillera plus tard aux côtés de Lilandra, elle aussi otage de sa sœur à bord de son petit astronef.
-Sur ce, le vaisseau des Starjammers (l'équipage de Corsaire) fait une apparition remarquée dans le ciel de New York et embarque les X-Men, qui mettent immédiatement Colossus dans un module de soins en espérant le sauver. Alors que Scott et Corsaire commencent à nouer des liens, l'énorme vaisseau des Broods fait son apparition, et gobe le vaisseau des Starjammers ainsi que celui de Deathbird qui leur filait le train. Starjammers et X-Men parviennent à s'échapper après avoir récupéré Xavier et Lilandra, l'ultimatum est donc caduque, mais les dégâts sur le vaisseau empêchent nos héros de communiquer avec les Shi'ars ainsi que voyager assez vite pour leur parler à temps et annuler l'ultimatum. Tout le monde s'affaire alors autour de l'appareil afin de le réparer au plus vite, non sans encombres (ah ben oui, tant qu'on peut rajouter des micro péripéties, on va pas se priver...), Colossus faisant une rechute après ses efforts, le renvoyant à l'infirmerie.
-Mais la situation évolue chez les Shi'ars, l'Amiral Lord Samedar fait du zèle et élimine le chancelier Araki afin d'anéantir la Terre coûte que coûte. Sans autre moyen de prévenir l'Empire, Xavier tente de communiquer télépathiquement à travers l'espace avec Kitty et Diablo, mais une anomalie se produit, agressant le cerveau du professeur, le plongeant dans le coma. Comprenant que les Shi'ars vont passer à l'attaque, Diablo et Kitty décident d'essayer de les en empêcher, et arrivent à convaincre la garde impériale menée par Gladiator que Lord Samedar est en train de faire un coup d’État. Après un combat intense, le vaisseau des Starjammers intercepte in extremis le rayon censé détruire la Terre, et l'impératrice Lilandra déclare l'ultimatum révolu, et fait mettre l'Amiral et Deathbird aux arrêts.
Fin de la première partie de la saga des Broods. Ce que l'on pourrait appeler "L'Arc Shi'ar" se termine sur un Xavier toujours dans un état catatonique, et je suis moi-même déjà épuisé par ce scénario pas toujours très fluide et clair, diluant ses enjeux dans de nombreuses scènes sans conséquences, comme pour éviter l'ennui. Mais comme on dit "le mieux est l'ennemi du bien", et cette surcharge de péripéties fatiguent plus qu'elles ne divertissent. Mais reprenons.
-Nous voici avec un épisode qui fait suite mais un peu à part. Nos héros (X-Men et Starjammers) sont de retour sur Terre, dans leur QG exotique perdu, accompagnés de Carol Danvers (alias Mrs Marvel), qui traîne avec nos chers mutants depuis que Malicia (fille adoptive de Mystique, chef de la confrérie des Mauvais Mutants) a volé ses pouvoirs (voir Spécial Strange Origines 238). Oracle, une télépathe Shi'ar, tente sans succès de tirer Xavier de son état léthargique. C'est alors que le sénateur Kelly intervient à la télévision et interpelle sur le danger des mutants et évoque le fichage de ces derniers. Les X-Men décident alors d'effacer toutes les données informatiques relatives aux mutants qui se trouvent au pentagone. Ainsi Tornade, Wolverine et Carol pénètrent en civils dans le bâtiment et tombent sur Malicia, membre de la confrérie des mauvais mutants et fille adoptive de Mystique. Un violent combat s'ensuit inévitablement. Malicia s'avère être un adversaire coriace, mais Tornade parviendra à la faire partir, alors que Mystique se cachait dans les parages, infiltrée au Pentagone sous son identité civile de Raven Darkholme. Mission accomplie, les données des mutants sont effacées, ainsi que celles concernant Carol Danvers / Mrs Marvel, lui permettant symboliquement de tourner la page avec sa vie d'avant.
-Suite à cela, Sienkiewicz vient illustrer 2 épisodes lorgnant du côté du fantastique. Le premier oppose Dracula à nos chers mutants, envoûtant la belle Tornade qui résistera à la tentation grâce à son amour du vivant et ne pouvant accepter d'épouser les ténèbres. Le second plongera les X-Men dans les limbes puisque Belasco, sorte de sorcier maléfique, les y entraînera pour essayer de se les approprier. La conséquence notable sera le vieillissement de Illyana, passant de 7 à 13 ans. Deux épisodes sans grand intérêt, Sienkiewicz ne parvenant pas à apporter assez de souffle à ces histoires malgré une ambiance légèrement gothique.
-Retour à la réalité. Nos héros, toujours dans l'ex-QG de Magnéto, veillent leur mentor Xavier dans le coma. Lilandra et Scott souffrent particulièrement de se sentir aussi impuissants. Mais leur soutien n'est pas vain puisque le professeur va entamer un cheminement intérieur afin de refaire surface. Nous assistons alors à une sorte de séquence flashback où Charles Xavier se rend dans un hôpital en Israël dans le but d'aider une patiente elle-même dans un état catatonique, et y fera dans le même temps la rencontre de Magnéto. Il la guérit et entame même une relation avec cette Gabrielle Haller (future mère de David Haller, dit Légion) quand une troupe d'Hydra la kidnappe. Xavier et Magnéto s'allient pour la sauver et se découvrent mutants, avec des points communs mais aussi des divergences dans le rapport aux humains. Retrouvant sa dulcinée, son cheminement à elle semble libérer l'esprit de Xavier qui se réveille enfin. Les X-Men se rendent dans le vaisseau de Lilandra pour un banquet en l'honneur du professeur (mais sans lui puisqu'il est encore convalescent...) quand Deathbird et des Broods font leur apparition et réduisant nos héros à l'impuissance en l'espace d'un instant.
Un épisode plus intéressant que les autres dans la mesure où il explore le passé du professeur X en traitant de sa rencontre avec Magnéto. Dommage que cette histoire de thérapie télépathique avec Gabrielle ne soit au final qu'un prétexte superficiel pour réveiller un Xavier d'un coma dont on ne sait toujours pas l'origine, bien que l'on subodore que les ignobles Broods en soient responsables.
-Dernière ligne droite dans cet album pour la Saga des Broods puisque nous entamons les 3 derniers épisodes qui lui sont consacrés. Les X-Men sont captifs des Broods. Wolverine est seul à se débattre pour essayer de leur échapper, entre combats mano à mano et délires hallucinatoires. Ce faisant il comprend sa souffrance: son corps lutte contre un embryon implanté en lui destiné à le transformer en Brood, enrichi de son propre code génétique. Mais son facteur auto-guérisseur et son squelette en adamantium empêchent l'embryon de se développer, et finissent par l'achever. Il parvient à libérer ses camarades et ils réussissent à s'échapper à bord d'un vaisseau, notamment grâce à Carol qui entre temps s'est transformée en Binaire à cause des expériences menées sur elle par les Broods (quand je vous dis que c'est dense, comme récit...). Donc maintenant tout le monde sait qu'ils sont condamnés à cause des embryons, Tornade est tellement chamboulée qu'elle s'enfuit à bord d'une navette, et Binaire s'envole de colère à la poursuite des Broods.
Fin de la Saga sur ce cliffhanger, mais frustrant tout de même de ne pas avoir la conclusion après ces heures de lecture. L'album se termine sur un annual avec Dracula à nouveau, toujours de Sienkiewicz, que je n'ai pas eu le courage de m'infliger tant il paraît bien en-dessous des autres épisodes fantastiques lus plus tôt.
Donc, en soit, cette intégrale n'est pas mauvaise puisque que très cohérente: Cockrum, un dessinateur connu et reconnu, qui œuvre sur une saga au long cours, ce qui assure une continuité scénaristique, de quoi représenter un bon bloc dans la grande histoire des X-Men. Oui mais voilà, cette intégrale pourrait dater de 1978 et faire suite au premier run de Cockrum, tant de par son style très 70's que par les histoires de Space Opéra et d'invasion psychique qui sentent le déjà vu. Il y a certes un certain approfondissement des personnages (Cyclope découvrant son père, Tornade et son rapport au vivant, la bravoure de Kitty, etc), et j'ai particulièrement apprécié le lien ambigu d'amitié et de concurrence entre Scott et Ororo, nourri de respect et d'admiration. Mais dans l'ensemble, cet album est bien trop chargé et d'une qualité générale convenable mais pas exceptionnelle, ce qui rend la complexité du récit encore moins digeste. Et le constat, au final, qu'il ne s'est rien passé ici de véritablement notable dans la grande histoire des X-Men, et dont le fin mot (pour des raisons logiques de chronologie et de cohérence éditoriale) ne nous sera révélé que dans l'intégrale suivante.
Un album loin d'être indispensable, que je conseille uniquement aux mordus de Cockrum et aux complétistes des intégrales X-Men.