Qu'il est réjouissant d'être surpris par un réalisateur aussi reconnu, au style si affirmé, et ce avec un film très attendu. Car si Tarantino nous gratifie de certains de ses gimmicks (musique accrocheuse, acteurs au poil, personnages hauts en couleurs, violence exacerbée...), il ne se répand pas dans une mise en scène exagérément stylisée comme il en a l'habitude, laissant la place à ses sujets, car il n'a plus à démontrer ostentatoirement l'étendue de son talent. Point de dialogues fleuves aux punchlines cultes, d'inserts, de zooms rapides, de ralentis, et surtout, pas d'intrigue solidement ficelée.
On est à la limite du road movie tant il nous ballade en musique à bord de caisses qui sentent bon le cuir, avec suspension ultra souple, à travers un Los Angeles qui jouit d'une reconstitution d'un réalisme confondant, mais qu'il filme sans trop insister, comme s'il filmait le présent, renforçant subtilement son réalisme et sa présence.
Bien qu'on ne puisse pas le qualifier de contemplatif car la caméra ne s'attarde que rarement sur un sujet (Sharon Tate sortant du cinéma), la dynamique générale du film joue davantage sur l'imprégnation que l'articulation dramatique du scénario, ce qui peut déstabiliser voire décevoir, mais l'intérêt du film est ailleurs. Rencontres, tournages, flashbacks, extraits de retransmission télé, autant de moments qui sont l'occasion de dépeindre une époque et un milieu, avec ses gueules et ses secrets de fabrication. Vraies stars mais fausses anecdotes, tension dans la séquence chez la communauté de Manson et scènes comiques, Tarantino excelle dans les changements de tons et de dimensions (le réel et la fiction des films dans le film), jouant avec nos émotions et nos attentes, notamment avec l’appréhension du dénouement dont on attend l'inéluctable drame, et nous raconte avec brio une fausse histoire dans un vrai Hollywood.
Mais malgré un scénario sinueux et une mise en scène plus discrète, la magie opère. La sympathie que dégage le duo Pitt / DiCaprio, collègues et amis dont la carrière décline, symboles du crépuscule du Hollywood dit classique, et la candeur de Sharon Tate, figure solaire d'un nouvel Hollywood émergeant, agissent sur nous comme facteurs de fascination. Voir s'échiner un acteur has been (Rick Dalton / Dicaprio) pour donner un second souffle à sa carrière alors qu'il picole de plus en plus et qu'il ne saisit pas l'air du temps est hilarant et pathétique, mais toujours montré avec bienveillance. Cliff Booth / Pitt est un modèle de coolitude, et Sharon Tate / Robbie nous séduit par sa simplicité et son charme ravageur chaque fois qu'elle est à l'écran.
Et au bout du chemin, une sorte de rencontre, celle de l'age d'or et du Nouvel Hollywood, comme pour réconcilier deux périodes que l'histoire du cinéma et un drame réel auraient séparé, mais constitutifs sans différenciation de la culture de Tarantino. Et pour beaucoup, de la nôtre.