Ce tome fait suite à Zero Volume 1: An Emergency TP- (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant car il s'agit d'une histoire complète en 4 tomes. Il contient les épisodes 6 à 10, parus initialement en 2014, écrits par Ales Kot. L'épisode 6 a été dessiné et encré par Vanesa R del Ray, le 7 par Matt Taylor, le 8 par Jorges Coelho, le 9 par Tonči Zonjić, le 10 par Michael Gaydos. La mise en couleurs de tous les épisodes a été réalisée par Jordie Bellaire. Le design de la publication a été réalisé par Tom Muller.
Lors de la seconde guerre mondiale, les nazis se livrent au bombardement d'une forêt pour débusquer des militaires russes. Il en sort un troupeau de chevaux qui traversent un lac en cours de gel. Alors qu'ils posent les sabots à la surface de l'eau, ils produisent le déclic nécessaire pour déclencher le changement de phase de liquide à solide, toutes les autres conditions de température et de pression étant réunies. Ils se retrouvent figés dans la glace. En 2019, en Suisse, Edward Zero accomplit une mission d'infiltration dans les installations du CERN, et plus particulièrement dans le laboratoire du Large Hadron Collider (LHC) pour arrêter Nova Ginsberg, un terroriste. Fin septembre ou début octobre 2020, dans la banlieue de Ciudad Juárez au Mexique, Roman Zizek conduit un 4*4 avec Edward Zero comme passager. Ils se rendent dans la propriété d'un chef de cartel pour une transaction illégale. En conduisant, Zizek demande à Zero ce qu'il pense des plages. Il lui répond que la dernière fois qu'il a mis les pieds sur une plage c'était le 21 novembre 2015 en Italie, pour une mission d'extraction. Ça ne lui a pas fait une grande impression. Puis il demande à Zizek pour quelle raison il lui pose une question sur une plage. Ils arrivent au rendez-vous. Les gardes armés leur ouvrent le portail de l'enceinte. Le trafiquant leur parle de de Kali Yuga, l'âge qui vient après Satya, Trita et Dvâpara.
En octobre 2020, au Royaume Uni, Sarah Cooke est en train de courir dans les bois. Vingt minutes plutôt, elle arrivait en voiture à son rendez-vous avec l'agent McGoohan. Après lui avoir serré la main, elle lui demandait ce qu'il avait à lui donner. Trois mercenaires armés sortaient des ruines derrière lui et McGoohan annonçait qu'elle était la bienvenue à ses propres funérailles et qu'un tireur embusqué était prêt à l'abattre au moindre mouvement. Cooke répondait que son propre tireur embusqué tenait en joue celui de McGoohan. En 1993, en Bosnie, Roman Zizek se livre au trafic d'armes avec plusieurs factions ennemies engagées dans le conflit Bosnie-Herzégovine (1992-1995). Il participe à une partie de poker avec l'un de ses clients. Ce dernier lui rappelle qu'il est hors de question que Zizek vende des armes à un autre client. Il se moque également de lui pour sa relation avec Marinka, une jeune femme capturée servant de prostituée à ses hommes. En 2038, au Royaume Uni, Edward Zero est assis sur une chaise au bord d'une falaise, tenu en joue par un enfant armé d'un revolver. Il lui explique qu'il a compris que tout a une importance quand il avait 32 ans. En 2022, il se trouvait en Islande à travailler comme cuistot dans un restaurant.
La lecture du premier tome avait de quoi déconcerter : une savante recomposition chronologique (épisode 1 en 2018, 2 en 2000, 3 à 5 en 2019, sans compter celles avec le vieil homme assis sur sa chaise au bord de la falaise en 2038), un agent secret opérationnel avec le permis de tuer, une ou deux avancées technologiques relevant de l'anticipation, un dessinateur différent par épisode. Il vaut mieux que le lecteur ait bien les épisodes du premier en tome en tête pour pouvoir apprécier ceux-ci : la mission à Beit Hanoun dans la Bande de Gaza en 2018, la formation d'agents spéciaux de Mina Thorpe et Edward Zero dès leur plus jeune âge en 2000, la réunion de financement d'un groupe terroriste en 2019, l'assassinat de l'agent spécial Garreth Carlyle à Rio de Janeiro en 2019 et l'interrogatoire de débriefing qui a suivi, mené par Roman Zizek (le supérieur de Zero) et Sarah Cooke (la supérieure de Zizek). Une fois ces éléments bien en place dans son esprit, le lecteur plonge dans ces 5 nouveaux épisodes. Il constate avec plaisir qu'il situe tous les personnages sans difficulté : l'agent spécial Edward Zero (de son vrai nom Edward Stoikivic), Roman Zizek Sarah Cooke, Nova Ginsberg. Il s'agit toujours d'une histoire d'espionnage avec séquences d'action, se focalisant sur les 3 premiers personnages, toujours racontée sans suivre l'ordre chronologique.
Chaque épisode est raconté par un artiste différent, ce qui correspond bien au fait qu'il s'agit d'époques différentes, ou que l'état d'esprit d'Edward Zero a changé d'une séquence à l'autre. Il ne s'agit ni d'une facilité éditoriale pour pouvoir tenir le rythme mensuel de publication, ni d'une lubie du scénariste. La cohérence de la série est assurée par Tom Muller qui a conçu le design des couvertures et de l'intérieur de chaque numéro. C'est une tâche généralement invisible ou assumée par l'éditeur. Ici, le scénariste a conçu son œuvre comme un tout et en a confié l'habillage à Tom Muller, artiste à part entière ayant apporté sa créativité à l'œuvre finale. De la même manière, la mise en couleurs des 5 numéros a été réalisée par une unique artiste : Jordie Bellaire. La cohérence qu'elle apporte s'avère plus discrète car cette artiste développe une palette spécifique pour chaque épisode. Inconsciemment, le lecteur enregistre qu'elle utilise des aplats de couleurs pour chaque artiste, unifiant ainsi l'aspect visuel du tout. Au-delà du fait que chaque épisode comprend les trois mêmes personnages, ou qu'il y soit fait allusion dans chaque épisode, le design et la mise en couleurs apportent un lien à l'ensemble, en arrière-plan, mais bien présent. Enfin chaque artiste réalise des dessins avec une apparence sans peaufinage des traits, chacun à sa manière, comme une forme d'urgence ou de reportage saisi en direct.
Les pages de Vanesa R. del Ray donnent une impression d'esquisses repassées plusieurs fois, aboutissant à une forte densité de noir, et une impression de représentation détaillée. Par comparaison, les pages de Matt Taylor donnent une impression de détourage plus fin et plus délicat, avec juste les éléments essentiels, sans beaucoup de détails. Les pages de Jorges Coelho sont celles dont le rendu s'approche le plus d'une bande dessinée réaliste traditionnelle, avec une sensation de description précise, même si quand le regard s'attarde sur une case il devient visible que le degré de finition est loin d'un rendu photographique. Tonči Zonjić détoure les formes avec un trait plus gras et plus épais, donne une impression évoquant parfois Alex Toth, avec un bon niveau de détails. Les contours tracés par Michael Gaydos sont plus épais, plus irréguliers, sans beaucoup d'arrondis, et les formes portent en elles des aplats de noir massifs, aux contours irréguliers, sans être déchiquetés. Effectivement, chaque épisode porte en lui une identité graphique propre, tout en donnant l'impression que tous les 5 se situent dans un même registre. Avec une telle construction narrative, le lecteur s'attend à ce que la narration visuelle soit elle aussi exigeante et nécessite un bon niveau de concentration. Il découvre qu'il n'en est rien. La narration visuelle est simple et facile à suivre, tout en étant très personnelle.
Chaque épisode développe une scène d'action ou plusieurs pouvant occuper plus de 80% de la pagination. Dans l'épisode 6, le lecteur suit l'infiltration d'Edward Zero : les mercenaires qu'il neutralise définitivement, sa progression vers le grand collisionneur de hardons. Dans le suivant, il assiste à une exécution rapide et définitive. Dans le 8, la lutte de Sarah Cooke pour sortir du piège occupe 80% de l'épisode. Dans le 9, le lecteur suit Roman Zizek dans ses tractations à haut risque. Il n'y a que le 10 où l'action marque le pas. Chaque artiste met en œuvre ses talents de metteur en scène pour des pages dynamiques découpant l'action de manière que chaque mouvement, chaque coup porté se succède logiquement par rapport au placement de chaque personnage et à leur mouvement précédent. Il s'agit bien d'un récit d'action violent dans lequel l'usage des armes à feu et des techniques de combat à main nu aboutit à des morts ou des blessures graves. Chaque artiste sait montrer cet aspect essentiel de la vie des protagonistes.
Porté par la narration visuelle personnelle et efficace, le lecteur replonge dans ce récit d'espionnage sec et brutal. Il en apprend plus sur la vie de Roman Zizek avant d'intégrer cette agence. Il découvre comment Sarah Cooke navigue en eaux troubles pour satisfaire ses supérieurs. Il voit l'évolution du regard qu'Edward Zero porte sur son métier, sur la manière dont son métier le façonne. Chaque épisode apporte sa pierre à l'édifice de l'intrigue, tout en apportant un point de vue avec du recul. Le lecteur continue de se demander qui dirige la mystérieuse agence, ainsi que l'objectif réel poursuivi par Nova Ginsberg. Il savoure la paranoïa qui se dégage de ce nœud de vipères où chacun essaye de se protéger, tout en manipulant les autres, et en s'assurant de pouvoir faire en sorte que ses actions soient propices à plusieurs interprétations. Il admire la dextérité avec laquelle le scénariste sait insérer son récit dans une réalité encore plus horrible que sa fiction : le trafic de drogues, les viols commis pendant la guerre Bosnie-Herzégovine (entre 20.000 et 50.000). Il ressent les états d'esprit d'Edward Zero sans qu’ils ne soient explicités. D'un côté, les personnages semblent entièrement le jouet de leurs compétences, des circonstances de leur vie : savoir tuer pour Zero, avoir été un jeune adulte pendant le conflit Bosnie-Herzégovine pour Zizek. D'un autre côté, leur inconscient est aux prises avec leurs aspirations individuelles et leurs actions violentes, conflictuelles, irréconciliables. Cette dimension existentielle affleure à plusieurs reprises. Nova Ginsberg demande à Edward Zero : qu'est-ce que l'existence ? Ginsberg répond : L'existence est un perpétuel état de guerre. Le trafiquant de drogues mexicain est persuadé que le monde est entré dans l'âge de la dégénérescence spirituelle (Kali Yuga). Enfin, l'épisode 10 prend le lecteur par surprise en montrant Edward Zero prendre conscience que chaque acte a de l'importance. En Islande, il se retrouve dans une mise en scène illustrant un extrait de Comme il vous plaira, la pièce de William Shakespeare : Le monde entier est un théâtre, Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles.
Ce deuxième tome confirme toute la personnalité de cette série, Le scénariste a conçu un tout prenant une apparence protéiforme, grâce au recours à un artiste différent par épisode, tout en conservant une cohérence globale grâce au designer et à la coloriste. Il raconte un récit de genre : un récit d'espionnage violent et terrifiant, en mettant en œuvre les conventions narratives associées à ce genre, tout en en faisant une métaphore de l'existence humaine, avec une dimension philosophique ambitieuse et intelligente.