- Le transfuge de Frank Miller de Marvel à DC Comics, obtenu au prix d'une liberté totale accordée par cette dernière pour sa première série Ronin, est bien bouclé. Frank Miller a fait ses armes, a définitivement assis son talent et peut se frotter à un personnage emblématique du vénérable éditeur. Mieux, dans un contexte de conclusion de l'âge de bronze foutraque gavé de multivers incompréhensibles pour le néophyte, Frank Miller est chargé de raconter la fin des aventures du justicier masqué de Gotham.
Au dessin comme au scénario, Frank Miller se lance dans une mini série de quatre tomes narrant les aventures d'un Bruce Wayne de 55 ans, ayant raccroché depuis dix ans cape, masque et gadgets, plus tourmenté que jamais par ses vieux démons, entre le meurtre de ses parents et la culpabilité ressentie quant à la mort de Jason... Vieilli, affaibli, dégoûté de voir une jeunesse nihiliste et violente terroriser les habitants de Gotham, il se décide presque malgré lui à revêtir une dernière fois le costume de l'homme chauve-souris, au risque de réveiller de vieux démons...
Dressant le portrait d'un Batman plus névrosé que jamais, à la limite de la schizophrénie, Frank Miller assombrit le personnage en vitesse accélérée (son travail sur Daredevil fut équivalent, mais étalé sur 42 tomes), lui conférant une aura de ténèbres qui plus jamais ne le quittera. Dans toute la production ultérieure liée à l’homme chauve-souris, impossible de s’affranchir de la vision de Miller.
Appuyant dès le départ sur l’importance des médias dans le retour souhaité ou honni de Batman, Frank Miller fait de l'homme chauve-souris un symbole, une icône de l’ordre face au chaos, érigé par les habitants de Gotham en dictateur au sens romain du terme. L’opinion politique de Frank Miller transpire des planches à ce niveau et c’est sur ce point que l’adoration béate de ce comics m'interpelle. Un peu de distance me parait quand même nécessaire. Faisant la démonstration des faiblesses de la démocratie au niveau de Gotham puis du pays entier, Frank Miller montre que l’ordre nécessite une poigne, une autorité qui transcende, et ce quels que soient les moyens employés. On flirte avec du pseudo-fascisme de cour de récré facile qui, tout en participant à la qualité de l’œuvre, ne doit pas être pris au premier degré.
Graphiquement, l’ensemble est superbe quoique je suis toujours un peu rebuté par l’hypertrophie généralisée des personnages croqués par Miller, où même le doigt d’un nouveau né à la circonférence d’un tronc d’arbre. Tous en muscles, massifs, lourds, Batman et consorts pèsent à l’œil et privent certaines planches d’un peu d’espace, d’aération… A ceci ce rajoute les interventions constantes des médias en petites bulles et cases en enfilade qui parfois lassent dans leur répétition graphique…
The Dark Knight Returns mérite indéniablement son statut d’œuvre culte dans le panthéon comics. En quatre épisodes, Frank Miller a redéfini le genre des super-héros, (tandis qu’à l’autre bout un certain Alan Moore avec son Watchmen le tuait pour mieux le voir ressusciter) et changé à jamais la nature profonde de Batman. Des films de Burton à ceux de Nolan, en passant par la série animée des années 90, le jeu Arkham Asylum ou l’univers sombre des comics comme Killing Joke, tout cela repose sur le pilier porteur titanesque qu’est TDKR.
PS :
A noter que c’est le seul comic ou je trouve le personnage de Superman intéressant. Sa confrontation finale avec Batman est un pur moment d’anthologie qui fiche de vrais frissons à la lecture.