Mères perdues
Tout doit se jouer dans cet ultime épisode. Les personnages, qui ont maintenant bien évolué, doivent effectuer des choix de vie définitifs. Il se révèle que le choix majeur se situe entre la fuite...
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le 29 sept. 2012
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On regrette qu'un scénario aussi sérieusement pensé et fouillé aboutisse à un manque d'intérêt aussi flagrant. Après un tome centré autour de Samhain (la nuit des morts, l'invasion du monde des vivants par les esprits de l'au-delà, donc Halloween), le symétrique débarque, de manière très prévisible, avec la fête de Beltane (que vous trouverez sous divers noms, dont celui de Beltaine), qui, le 1er mai, célèbre le processus inverse : le jour gagne irrésistiblement sur la nuit, et les vivants pénètrent le domaine des morts, par divers exultations corporelles, et en particulier les jouissances sexuelles, qui annulent en quelque sorte le nombre de morts du passé pour les remplacer par de nouveaux vivants.
De fait, l'intrigue, si on a la patience de se repérer dans ses rotations alambiquées, aboutit au passage d'un vivant (Dante) dans cet entre-deux plus que bizarre (l'Aether), pour y établir une sorte de révolution, voire d'anéantissement. Lequel Dante, comme attendu, copule avec la belle élémentale représentant l'Eau, et heureusement que le récit s'arrête avant qu'on voie quelle tête peut bien avoir le rejeton d'une séance de jambes en l'air aussi improbable.
Ca, c'est le sens général. Mais l'Aether ressemble de moins en moins au bestiaire gentillet et baroque que nous ont livré les contes et légendes pleins de lutins, de gnomes, d'ondines et de sylphes charmants et peinards. Au contraire, cet Aether est instable, les élémentaux qui en font partie sont gravement mal à l'aise, ont une frousse bleue que leur monde disparaisse (symétrique de la peur de l'humanité autour de la fête de Samhain ?), et, au lieu de se serrer les coudes et de se concerter pour sauver cet univers (dont on finit par se demander pourquoi ils y tiennent tant, vu qu'il fonctionne si mal !), font preuve de minables petites ambitions personnelles et divergentes, se chamaillent entre eux et se font la guerre. On dirait Europe-Ecologie-Les-Verts version sublimée.
Le seul intérêt, c'est d'avoir un début d'explication, quasi théogonique, de la situation, planches 16-17 : l'Homme, après sa Création, est devenu tellement compétent qu'il a fauché aux élémentaux leurs pouvoirs sur la Nature, et les élémentaux ont été obligés de se barricader dans un monde, l'Aether, où ils n'en mènent pas large. En plus (mais ceci est nettement plus conventionnel), ils jalousent la faculté des vivants à ressentir des émotions, parmi lesquelles l'Amour, bien sûr ! D'où cette histoire de transgression de la frontière Aether-Monde Humain dans les deux sens, l'une lors de Samhain, l'autre lors de Beltane.
Comme la majorité de l'album est consacrée à ces chamailleries ésotériques et hermétiques, on décroche rapidement, et on laisse tomber l'histoire pour ne conserver que les dessins, toujours superbes en dépit de leur caractère composite qui cherche à imposer une mélange des mondes auquel il est fort difficile de croire. Les décors des divers éléments "transcendantaux" donnent lieu à de superbes images de déserts désolés et déchiquetés, de lueurs infernales et incandescentes bien suggestives. Les architectures terrestres (l'un des thèmes du scénario est de reprocher aux humains d'avoir utilisé les pierres - élément minéral - pour bâtir des édifices aussi moches et aussi morts) ne sont pas oubliées : planche 7, bâtiment haussmannien parisien, église gothique avec belle rose, pinacles et flèche au niveau du transept hérissés d'ergots décoratifs. Les halos des luminaires, transcendants ou pas, sont un régal (planche 8). Très belle image dramatique sur l'humanité primitive (planches 16-17). Planche 41, autre belle église, cette fois-ci plutôt d'un style roman tardif-renaissant.
Le scénario est tellement transcendant, et le texte tellement élégant, que le contraste formé avec l'hermétisme des péripéties et des motivations des élémentaux donne le sentiment d'un magistral gâchis. Se donner tant de mal - pourquoi ? Pour - on le verra - magnifier la fécondation d'une femme et l'espoir convoyé par une grossesse, phénomène parmi les plus communs du monde ! Le lectorat masculin, au minimum, ne se sentira pas les hormones nécessaires pour sympathiser avec cette envolée mystique qui tente de donner une dimension surnaturelle à un engrossement qui était attendu depuis le début du premier tome. Je devrais sans doute développer mon côté féminin, parce que là, ça ne passe pas.
Créée
le 9 juil. 2015
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