L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant les vieilles lunes de l'enseignement scolastique radotant, ridiculisant les caprices mégalomanes des tyranneaux, rééquilibrant la pédagogie en l'étendant à toutes les expériences et tous les savoirs possibles, se vautrant avec délectation dans tous les plaisirs du corps, à commencer par le grand-manger et le beaucoup-boire, réglant son compte à l'autorité millénaire du latin, Rabelais déverse avec un plaisir contagieux des montagnes de mots qui sont au fondement de la langue française vraiment naissante. La sensualité permanente est soutenue par la vigueur et le relief sonore du langage.
Derrière l'image du grand géant chez qui tout est démesuré: la nourriture, la boisson, les mictions, les exploits, se trouve un vieux fonds mythologique fort éloigné d'être chrétien: le géant bienfaisant, ordonnateur du chaos primitif, qui laisse ses empreintes de pas et le souvenir confus de ses exploits dans tous les coins de France. Intéressant alors que Gargantua base son éducation sur les Saintes Ecritures.
Mille pistes restent ouvertes pour interpréter le sens de chaque épisode, de chaque ligne, de chaque mot. Lire Gargantua, c'est se jeter dans la furie joyeuse d'un monde qui naît et qui croit en lui-même.