Que ce moyen français apparaît lointain, mais en même temps si proche. On a parfois l'impression, comme c'est le cas quand on lit (ou plutôt essaye de lire !) de l'ancien français, d'avoir affaire à une langue étrangère, mais dans le même temps, d'avoir affaire à notre langue, celle à laquelle on a affaire lorsqu'on lit du français moderne.
Cela symbolise ce qu'est Gargantua de François Rabelais. L'impression d'avoir affaire à un vieux grimoire illisible, bouffé partiellement par les rats, avec ces interminables descriptions d'objets, de vêtements, mais dans le même temps, à un roman frais, d'une modernité étourdissante, d'une humanité qui sont autant de coups portés contre la connerie sectaire (pléonasme quand tu nous tiens !).
Je vais faire une confidence, le côté positif l'emporte assez considérablement sur celui négatif. Mais j'ai tellement souffert lors de la lecture des descriptions, qu'il fallait que je me plaigne.
Assez fait son grognon... Passons aux qualités inestimables de l'œuvre...
On relèvera des moments grandioses de pure délire, surtout pendant la bouffonne guerre picrocholine, causée par les raisons les plus débiles du monde, avec des scènes fendardes, à l'instar de celle des malheureux pèlerins risquant d'être les victimes involontaires de l'estomac du protagoniste, celle où Picrochole se voit déjà conquérir le monde entier ou encore celles avec Frère Jean, moine plus prompt à trucider son prochain, si ce dernier le fait chier, qu'à suivre les enseignements rigides de l'Église. Mais le tout entrecoupé de fulgurances d'intelligence profonde, mentions spéciales aux propos que tient Gargantua aux pèlerins ou les discours présentant ce que doit être un véritable dirigeant. Celui qui sait se montrer conciliant, clément, mais pragmatique, qui pense à son prochain, qui ne baisse pas son froc quand il s'agit d'affronter le danger, qui appelle un chat un chat.
Et puis un ecclésiastique qui sort comme propos que la vie ne consiste pas à crouler sous les privations, sous les rigueurs, mais à profiter des bienfaits terrestres, tout en respectant son prochain, franchement, c'est beau, intemporel et universel. Dommage que la Société n'ait pas érigé Rabelais en modèle à suivre, le monde n'en serait que meilleur. Problème, c'est incompatible avec la bêtise inhérente à l'être humain.
J'ai adoré aussi la reprise en main de Gargantua par Ponocrates. S'améliorer passe par la cervelle, mais aussi par le reste du corps. C'est encourageant, c'est salvateur, l'amélioration de soi-même, c'est sublime (c'est à peine si je n'avais pas la musique de Rocky dans la tête, c'est dire si c'est plus que jamais puissant à notre époque actuelle !). Un dépressif qui ne croit pas en lui, je lui conseille de lire immédiatement cette partie du roman, voire le roman en entier.
Pourquoi je grognais déjà ?