Un peu de mise en scène pour commencer : Imaginez votre oncle alcoolique à l'humour graveleux et au regard lubrique en repas de famille... Voilà, vous y êtes ? Eh bien lui, c'est Rabelais, l'as du vice du XVIe siècle.
Le Gargantua, voyez-vous, c'est un peu son unique et meilleure blague ; celle que votre tonton à 2 grammes sort avec ferveur, persuadé qu'elle va faire mouche, les yeux brillants, le sourire moqueur. Oui, tonton alcoolo-pédo est en pleine jubilation de son effet sur la tablée, tout en fixant la seule adolescente de la table, le regard lubrique, demi-molle assumée. Au programme : sexe, alcool et stade anal. Mais ne vous y méprenez pas : rien à voir avec une soirée étudiante de prépa littéraire parisienne où se découvrent les limites de la théorie freudienne, ni non plus une orgie sciencepiste organisée en amphithéâtre.
Si vos professeurs d’hypokhâgne ne vous ont pas harcelé au sujet de la préface de l’oeuvre, en moyen français bien sûr - ici on est sapio - vous ratez sûrement ce qu’il se fait de pire en termes de littérature. Gargantua vous offrira la possibilité de vous délecter de l'humour gras, principalement basé sur l’urine et les excréments ; et ainsi incarner le doux personnage de votre oncle, spécialiste des dérivés d'éthanol, en plein délire au PMU du coin, cigarillo au bec, béret sur la caboche ; mais vous pouvez aussi chercher la « substantifique moëlle » c'est-à-dire ce qu'il y a de plus profond dans cette vaste boutade. Eh oui, le bon vieux Rabelais a ses côtés kantiens.
Néanmoins, là est la majeure différence entre votre oncle et Rabelais : le premier ne va jamais au fond des choses, et ce, même quand il met tarif à tata, un soir de pleine lune sur deux. Le second, lui, écrit un brillant manifeste à l'Humanisme européen et cristallise la perspective d'un avenir radieux, tout ceci - littéralement - dans des putains d’étrons.
Et ouais mec, c’est ça la classe à la française. Tout droit sortie du terroir.
A commencer par sa naissance : il est sorti de l'oreille de sa mère. Freud en sueur. Plus tard, il est éduqué par le philosophe Eudémon. Le mot d'ordre : un esprit sain dans un corps sain : Asics c'est has been. Il prône la fin du bourrage de crâne théologique et le développement intellectuel par la réflexion. Pourtant Rabelais était moine : culotté l’enfoiré.
Ensuite Gargantua bien éduqué devient roi, avec toutes les responsabilités qu'impliquent sa fonction. Il fait, entre autre, face à la problématique de la bonne guerre...vous la sentez la réflexion philosophique fondatrice...Rousseau en sueur. Décidément, MC Rabelais boit sans vergogne absolument toute la concu.
Puis enfin l'abbaye de Thélèmes, microcosme utopique où les femmes sont en tous points égales aux hommes.... Qui y croit ? Et puis quoi encore le droit de vote ? Le droit d’aller travailler ? Les mini-jupes ? D’ailleurs pourquoi les femmes n’ont pas de parapluies ? Parce qu’il ne pleut pas dans les cuisines ! Tonton en aurait presque oublié les nibards de tata.
Ouvrage philosophico-littéraire majeur ou vaste plaisanterie à chier ? Le légendaire torche-cul est une masterclass psychanalytique absolue, Lacan n’a rien pu faire. Force à lui, on est pas du tout ensemble.
En somme, Gargantua demeure une invitation à entrer dans l’univers libidinal et désarmant de ce cher tonton Rabelais, avis aux scatophiles qui lisent cette critique depuis le trône :
Viva la vida loca