Contrairement à ce dont vous avez l’habitude, ces 623,7cm² de fibre blanche sont recouverts d’un texte sérieux sur un manga. Je vous demande donc de me lire avec une attention toute particulière. Cette semaine nous abordons une œuvre clé d’Inio Asano : Bonne nuit Punpun, qui est une immersion de treize tomes au cœur de la dépression. Oui, un sujet très lourd ; rares sont ceux arrivant à en parler avec respect et en montrer toute l’horreur psychologique sans tomber dans le spectacle macabre ou caricatural.
Les œuvres d’Asano n’ont pas pour objectif de donner un dépressif en spectacle, mais bien de faire intérioriser et comprendre la dépression au lecteur. Pour un dépressif, savoir que l’on n’est pas seul, lire enfin quelqu’un qui nous comprend et même nous aide à nous comprendre est une expérience qui peut changer une vie. Asano nous prend par la main pour nous trainer dans la boue, nous laissant respirer dans des paysages que peu osent montrer, avant de replonger plus profondément. Une fois en bas de toutes ces pages, on admire alors notre voyage et non sa destination rarement meilleure que le départ. On admire nos souffrances. On admire le fait que l’on soit toujours en vie. On est soulagé.
Bonne nuit Punpun est loin d’être une œuvre facile. Les plus récentes de l’auteur comme La fille de la plage ou Errance, même si moins complètes avec seulement un ou deux tomes, sont plus accessibles. Rien n’est habituel dans Punpun, rien n’est fait pour notre confort durant ces treize tomes qui ne sont que la triste biographie de Punpun. Celle-ci commence avec trois tomes sur les années de collège de Punpun, le côté ennuyeux d’une tranche de vie de collégien trop réaliste pour être divertissante m’avait éloigné du manga l’an dernier (pour ceux qui me suivent, Punpun fait partie du fameux genre "slice of life"). S’y arrêter avait néanmoins été une erreur : Punpun est l’histoire d’une vie entière avec ses rêves, ses valeurs et ses traumatismes qui prennent racine profondément dès l’enfance. Il faut de la patience pour les voir finalement germer en un Punpun adulte détruit, alors qu’il n’a même pas eu la chance d’exister.
Dans cette longue histoire tout fait partie d’un calcul méticuleux forgeant Punpun pour le détruire et instaurant des codes pour les briser. La famille de Punpun est réduite à des traits de poussins minimalistes, et les rares pensées et paroles de Punpun ne sont que de sobres mots blancs perdus dans l’espace d’une case noire. C’est un parti pris graphique très dur à assimiler pour le lecteur, mais grâce à lui l’auteur nous impose de comprendre et d’imaginer l’état d’esprit de Punpun au lieu de nous le dessiner. Au fil des tomes, un Punpun grandit en nous et, une fois compris, le style minimaliste contraste avec le réalisme du propos et devient d’une violence extrême quand il renverse ses propres codes. Plus de cinq pages noires s'enchaînent. Un chapitre entier n’est rien qu’un long texte blanc entrecoupé d’image. Une page noire perdu dans un tome, n’affiche rien d’autre que "cette nuit-là, Punpun est mort". Les couvertures, toujours cryptiques et monochromes, se transforment finalement en tourbillon de couleurs au milieu duquel s’amuse le premier amour de Punpun.
Une fois ces dernières couvertures passées et le manga ouvert, on n’y voit rien d’autre que de la saleté : tout nous dégoûte, tous nos espoirs d’une vie meilleure partis en fumé. Qu’ai-je fais pour mériter ça ? J’ai pourtant décidé d’être un bon élève après le collège. Pourquoi la réalité est-elle si affreuse ? Tout est sale, tout est noir, la nature dans laquelle je m’amusais n’est qu’herbe tondue autour d’un pylône électrique. Comment retrouver la pureté des premiers tomes ? Mon corps est déchiré de blessures mais il ne veut pas mourir. Comment est-ce que j’arrive encore à vivre ? Ma vie ne m’a de toute façon jamais appartenue, et pourtant là, je la sens enfin, elle est là : ces blessures font mal. C’est bien les miennes, non ? A côté de moi, son corps est encore plus déchiré que le mien, l’infection se répand sous sa peau, mais c’est la personne de mes rêves. Ai-je du coup atteint le but de ma vie ? Mon rêve c’est de finir ma vie avec celle que j’aime non ? Dieu, puis-je m’arrêter là ? Après 30 ans, je n’ai plus la force d’espérer. Si seulement quelqu’un pouvait rêver à ma place.
Bonne nuit Punpun.
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