Ce tome est le sixième dans la collection de dessins d'humour de Voutch. Il contient une centaine de gags, à raison d'un par page au format d'une illustration peinte, avec une brève répartie écrite en-dessous, parfois deux lignes de dialogue. Tous les gags sont réalisés par Voutch (de son vrai nom Olivier Vouktchevitch) et publié pour la première fois en 2014.
Dans le hall d'un aéroport, les voyageurs ont débarqué et récupéré leurs bagages, et ils se dirigent vers la sortie. Un homme et une femme attendent avec un écriteau sur lequel est marqué le mot Maman. Au troisième siècle, les astronomes d'Alexandrie ont classé les sept jours de la semaine d'après le temps que mettaient les astres qui leur sont associés pour retrouver la même place dans le ciel, du plus rapide (la Lune), au plus lent (Saturne). Une secrétaire de direction est assise derrière son bureau avec le combiné téléphonique dans la main, et tenu en joue par un individu avec un fusil. Elle lui demande son non, son numéro de téléphone, ainsi que la raison pour laquelle il désire tirer à bout portant une balle mdoum-mdoum dans la tête de monsieur Duvernois. Un cadre supérieur est assis à son bureau dans une vaste pièce avec 3 panières devant lui portant chacune étiquette : Pas très important, Pas du tout important, Aucune importance. Dans une immense salle de réunion, très haute de plafond, le PDG s'adresse à ses cadres en leur tenant le discours suivant : Oui, il nous est possible de dominer notre peur, même dans des conditions d'extrême danger, et ce stage l'a prouvé. Et maintenant, nous allons faire une minute de silence à la mémoire de Gomez, Martineau et Vanderboghen.
À l'époque de l'antiquité romaine, un conseiller s'adresse à l'empereur en commentant un schéma sur un petit tableau : le peuple aime les tyrans cruels et implacables, or vous êtes un tyran cruel et implacable, malheureusement le peuple vous perçoit à 94,7% comme un gros patapouf sympa. Deux détenus avec des tatouages tribaux discutent dans la cour de la prison, l'un d'eux expliquant qu'il n'a été vraiment été lui-même que 3 petites minutes dans toute sa vie. Bilan : 5 morts et 14 blessés dont 2 graves. Le gardien vient voir un prisonnier dans sa cellule en lui indiquant qu'il est trop tard pour réorienter sa vie, mais qu'il doit lui indiquer ce qu'il veut pour son dernier dîner. Un homme des cavernes explique à un autre que ce n'est pas un vrai bison, mais la représentation d'un vrai bison et que c'est pour ça qu'on ne peut pas le manger. Un mécène vient trouver un des peintres qu'il parraine pour lui faire observer que son choix de réaliser des œuvres s'inscrivant dans le néoconstructivisme allemand n'est pas des plus heureux en pleine Renaissance Italienne. En pleine nature, un scribe a installé son écritoire pour mettre au propre ses idées : les voix, le roi de France, les anglais, tout est bon, mais il reste un problème : Jeanne Darkowski. Faute d'images de l'épouvantable catastrophe, deux présentateurs s'apprêtent à mimer la tragédie du crash d'un avion l'avion avec à son bord 268 passagers moldaves inconscients du danger.
Il ne s'agit donc pas d'une bande dessinée, car il n'y a pas de narration séquentielle d'un dessin à l'autre, mais d'une collection d'illustrations humoristiques autonomes. La couverture donne une bonne idée de l'intérieur : une peinture à la gouache, avec une situation représentée dans le détail, et un décalage comique dans le comportement de l'individu. La résignation de ce monsieur qui essaye de trouver une bonne chose dans cette catastrophe peut faire penser à l'attitude apaisée des personnages de Jean-Jacques Sempé qui font contre mauvaise fortune bon cœur. Le lecteur remarque que ce peintre a une silhouette longiligne avec un cou étrangement long et courbé, les épaules tombantes. C'est une constante quasi systématique dans les illustrations de chaque gag. Les personnages donnent l'impression d'être peu présents, l'étirement de leur silhouette leur donnant une allure de brindille légère, un fétu conscient de ne pas peser lourd face à l'adversité, au fait qu'ils doivent se plier à l'existence d'un monde sur lequel ils ne pèsent rien. Le cou allongé donne l'impression d'une oie en train de regarder autour d'elle en essayant de rechercher un élément dans son environnement qui donnera du sens à ce qu'elle perçoit. Le dessinateur s'amuse également avec la forme de la tête : très allongée, avec un nez proéminent dont la longueur correspond au moins à deux tiers de la hauteur de la tête parfois plus. Il apparaît que ces moments ne sont habités que par des individus blancs. En revanche, il y en a de différents âges : des jeunes, des trentenaires, des quadragénaires, des retraités. Il arrive parfois qu'un personnage porte un embonpoint marqué, ou soit affligé d'un double menton, ou d'une peau distendue sous le menton du fait de l'âge. Le visage des personnes âgées est marqué par des rides profondes. La plupart des personnages dont un effort de toilette que ce soit les robes des dames ou les costumes des messieurs.
En regardant les personnages, le lecteur ne peut pas s'empêcher de penser à d'autres dessins humoristiques paraissant dans les mêmes magazines, il y a quelque chose de la sophistication des parisiennes longilignes de Kiraz, mais sans leur ingénuité, ni leur élégance parisienne. En regardant les personnages de Voutch, le lecteur voit sur leur visage et dans leur posture qu'ils ont conscience de l'imperfection de la vie, de la finitude de leur personne : ils y sont résignés. Ils se savent imparfaits, physiquement ou moralement. Ils savent que c'est le lot de tout individu, que c'est consubstantiel de la condition humaine et que personne ne peut rien y changer. Le lecteur y reconnaît sa propre limite à agir sur le cours des choses.
À partir du troisième gag, le lecteur observe que l'illustrateur aime beaucoup placer ses personnages dans un décor qui les écrase par sa taille. Un jeune cadre en costume cravate dans un bureau immaculé très haut de plafond, 6 cadres autour d'une table de réunion de la taille d'un demi-terrain de football, un empereur assis dans une cour aux colonnades hautes de plusieurs mètres, deux détenus au pied d'un mur d'enceinte très haut, un auteur assis sur une chaise avec un écritoire au milieu d'une prairie s'étalant à perte de vue, une mère et sa fille prenant le thé dans un établissement avec une verrière haute d'une dizaine de mètres, etc. Le lecteur est ravi de pouvoir se projeter dans ces lieux souvent magnifiques : une terrasse ouverte donnant sur l'océan, une forêt enneigée, une immense pelouse devant une demeure luxueuse, un magnifique salon à la décoration minimaliste avec une terrasse donnant sur les toits de New York, une immense salle de concert classique, une longue piscine devant une villa, une salle d'audience gigantesque dans une tribunal, etc. Il est tellement impressionné par ces lieux qu'il se demande s'il n'est pas en train d'attraper un torticolis tellement il doit lever les yeux pour apprécier la volumétrie de chaque endroit. Du coup, il ne fait plus forcément attention au fait qu'à intervalle régulier un gag place ses personnages dans un endroit aux dimensions plus normales.
De page en page, le lecteur est frappé par la variété des situations : des relations professionnelles au bureau, la Rome antique, la cour d'un centre de détention, la Renaissance italienne, un plateau de journal télé, le quai d'une gare de banlieue, le hall d'un aéroport, une chambre de torture médiévale, une cuisine, une grotte avec des peintures rupestres, un champ de bataille au vingtième siècle, une poissonnerie, une forêt préhistorique, la savane, etc. La curiosité du lecteur est donc constante : découvrir un nouveau lieu, parfois une nouvelle époque, une nouvelle situation et rire de l'absurdité d'une réflexion ou d'une réaction. Ces gags ne sont jamais agressifs, les personnages étant plutôt placides et un peu coincés, rendus très humains du fait de leur importance rendue très relative par le peu de place qu'ils prennent dans des environnements beaucoup plus impressionnants qu'eux. L'auteur joue alors sur le décalage entre les présupposés d'une situation et la réalité de son déroulement.
À chaque page, le lecteur commence par voir l'illustration dans son ensemble, puis il lit le texte en dessous, et il revient à l'illustration pour apprécier l'interaction entre les deux. Il y a peu de gags qui soient de nature visuelle. Le lecteur se projette donc dans un monde à l'apparence plutôt douce, aux côtés d'individus bien élevés et fréquentables, généralement dans le milieu de la bourgeoisie, voire de la haute bourgeoisie. Le texte associé à l'illustration fait apparaître un profond malaise, un comique absurde reposant une inadéquation, un décalage entre le statut et la position sociale du personnage, et son ressenti. Cela commence par ces deux quinquagénaires qui tiennent un panneau Maman à l'aéroport, évoquant le fait qu'ils seront incapables de la reconnaître. Il y a la violence latente de cet individu avec un fusil qui vient pour tuer un patron dans son bureau (mais en respectant l'autorité de la secrétaire particulière), le monsieur à son bureau à traiter des dossiers sans importance, le patron actant la mort de 2 cadres pendant un stage, le tyran cruel à l'image de marque pas assez cruelle, le pianiste qui a raté sa vocation, le couple qui divorce après 60 ans de mariage, le monsieur qui choisit sa compagne uniquement sur des critères utilitaires, le rhinocéros qui ne parvient pas à se mettre en position du lotus, etc. Le décalage naît également de la calme résignation des individus qui ont complètement intégré que les choses sont comme ça, et qu'ils n'y peuvent rien changer. Ils n'ont aucune maîtrise sur leur destin, ils le subissent. Leur placidité est en apparente contradiction avec l'énormité qu'ils énoncent si calmement, si factuellement, rien ne pouvant remettre en cause leur constat, ou entamer leur résolution, ou modifier le cours des choses. En creux, le lecteur peut voir transparaître des réalités sociales comme le carriérisme, les modes de management en entreprise, l'argent qui ne fait pas le bonheur, la vie inutile, la violence physique ou psychologique entre êtres humains, la frustration sexuelle, l'angoisse de l'avenir, l'incommunicabilité, la perte de contrôle sur son environnement, le conformisme bridant l'individualisation, l'inaccessibilité du bonheur, et peut-être tout simplement son inexistence.
Au vu des magnifiques illustrations et des personnages bon chic bon genre, voire bien nantis, ainsi que l'absence de diversité, le lecteur pourrait s'attendre à un humour inoffensif et consensuel. Il découvre rapidement qu'il n'en est rien. Ces individus se sont résignés à vivre avec leurs imperfections, leurs limites dont ils ont une conscience aigüe, subissant la cruauté inhérente à la condition humaine et l'acceptant comme étant inéluctable, souvent la répercutant sur leurs proches dans des comportements civils mais implacables. Le lecteur rit de ces situations rendues cocasses par la beauté des lieux et l'insignifiance de ces vies étriquées, futiles, pouvant facilement identifier certains de ses comportements les moins reluisants.