Elmer de Gerry Alanguilan est vraiment une excellente BD. Connu plutôt en tant qu'encreur de comics de super-héros, l'auteur montre ici qu'il est ici un très bon auteur complet, qui a en plus des concepts d'histoires plutôt originaux.
Elmer nous parle d'un monde où les humains cohabitent avec des poulets devenus intelligents et capable de parler. Pas des humains à tête de poulet, non, de simples poulet à qui on aurait mis des habits. Et l'idée géniale de Alanguilan est de narrer le récit comme si c'était un récit autobiographique. Narration à la première personne écrite comme une sorte de journal de bord/journal intime, on ne suit que le point de vue du personnage principal et les évènements de son quotidien, les trois premières pages sont même vues à travers son regard. Sauf que le personnage principal, comme on l'apprend page 4, est poulet et qu'il s'appelle Jake Gallo. En lisant les 3 premières pages, on en a jamais l'impression, et quand on voit soudain notre petit poulet tout énervé, je n'ai pas pu m'empêcher de rire. Et si il y a quelques blagues au cours du récit, ce n'est pourtant pas un récit humoristique, loin de là.
On suit Jake retourner chez ses parents alors que son père est sur son lit de mort. Ce sera l'occasion pour Jake, énervé contre la société et tout le monde en général, de découvrir le journal de son père et l'histoire de son père qui est en même temps celle du peuple poulet. Que s'est-il passé à partir du moment où les poulets sont devenus intelligents ?
Elmer prend alors des allures de "Maus" d'un univers fictif. On retrouve cette même nature de double récit. Celle du fils dans le présent qui découvre l'histoire du père et on suit alors l'histoire de ce dernier de son point de vue grâce à son journal (où ce qu'il a pu raconter dans le cas de Maus). Et ce qui est bien c'est qu' Alanguilan n'en fait jamais trop. Il n'y pas d'évènements trop incroyables ou irréalistes, c'est vraiment à hauteur d'homme (ou de poulet plutôt) et on suit la vie, crédible, d'un des premiers poulets à être devenu intelligent, son récit étant une parabole de celui de milliers d'autres.
Et derrière cet habillage de fiction absurde, le récit peut ainsi aborder une large palette de thématiques sur l'égalité des droits, le racisme, l'acculturation, la persécution et l'extermination d'une minorité, le fait d'être un survivant, la découverte de ses racines, l'acceptation des évolutions de la société (qui se fait toujours à différente vitesse selon les individus)... C'est vraiment riche, finement exécute, passionnant, et on s'attache vraiment au destin de ce peuple poulet.
En outre, le dessin d'Alanguilan, bien qu'un peu gras, est loin d'être désagréable et sert totalement le récit. Suffisamment réaliste pour que l'histoire des poulets soit crédible, qu'on puisse se l'imaginer, la conceptualiser, et en même temps avec un découpage, une utilisation du noir et blanc qui est totalement celle du récit de témoignage.
Comme je le disais au début de la critique, on a ici une excellente BD que je recommande chaudement à tout le monde.