Elmer
7.7
Elmer

Comics de Gerry Alanguilan (2010)

Le poulet à ne pas consommer pendant les fêtes

Elmer est un poulet. Il est mort d’une crise cardiaque en octobre 2003. Sa famille est effondrée.


En 1979 les gallinacés sont devenus conscients. Subitement, ils ont tous pris conscience de leur nature, tout comme ils ont obtenu la possibilité de parler, même s’il a fallu apprendre à le faire.


Elmer a fait partie de cette première vague. Il était avant exploité pour des combats de coq. Celle qui deviendra sa femme Helen était elle dans une exploitation fermière sans âme.


Il a laissé un journal, d’abord décousu, puis plus élaboré à mesure qu’il commence à maîtriser l’écriture.


C’est Jake Gallo son fils qui le reçoit. Jake est un poulet colérique, assez obtus sur ce que doivent être les relations entre les gallinacés et les humains. Même si les coqs et poules du monde entier ont obtenu le droit d’être reconnus comme humains, le fruit d’une longue lutte et de sangs versés, pour lui le racisme est toujours présent, et il n’a pas tort.


Les retrouvailles avec Jake et le reste de sa famille, sa mère perturbée, son frère star de cinéma et sa sœur infirmière et amoureuse d’un humain, composent un portrait familial qui pourra rappeler quelques situations déjà connues. Mais ce portrait a pour lui son originalité, chacun représentant une partie de ce nouveau monde. Les liens familiaux restent importants, ils restent une famille, avec leurs joies et leurs peines, mais Jake va apprendre à mieux connaître son père, et surtout ce que cela a impliqué ce « Grand éveil ».


Le spectateur découvre ainsi avec lui, et au plus près de l’histoire d’Elmer les premiers mois, les premiers pas, mais aussi les premières déceptions. Protégés par un humain, ils ne feront que plus tard la douloureuse expérience du génocide de la race des gallus. Lui même sera menacé. Les hommes ne veulent pas être confrontés à ceux qui étaient alors leurs victimes, exploitées sans ménagement pour leur viande, leurs œufs ou pour se divertir. Ces victimes ont maintenant la parole, mais peu peuvent se défendre.


L’album fait ainsi découvrir ce qu’il pourrait se passer si une espèce animale venait nous demander des comptes. Elmer et ses proches qui font leur possible pour survivre puis pour s’imposer dans ce nouvel ordre mondial offre ainsi une intéressante histoire, mais ce sont bien les questionnements crées par cette situation qui intriguent. Les pistes de réflexion sont nombreuses, et tout ne sera pas expliqué, laissant quelques maladresses, comme ces questions de relations entre espèces.


L’ouvrage est ainsi à la hauteur de l’animal, s’apparentant à une fable dont la leçon n’est guère flatteuse pour nous autres humains. Sans qu’il ne s’agisse d’un discours végétarien, puisque ces volatiles apprécient aussi la nourriture animal. Mais bien d’un avertissement contre notre comportement avec les autres espèces animales, dominée sans états d’âmes. Et dont les réactions pour contrer cet éveil ne sont rien d’autre qu’un racisme encore viscéral, dont les éléments de discours peuvent rappeler bien d’autres réactions haineuses.


Elmer détonne dans la production éditoriale de la bande dessinée, c'est évident. La bande dessinée est l’oeuvre de Gerry Alanguilan, auteur philippin qui mène une carrière internationale en encrant des œuvres de chez Marvel ou DC tout en auto-éditant ses œuvres plus personnelles, dont Elmer qui le fut entre 2006 et 2008, bien loin de certaines préoccupations actuelles antispécistes ou autres.


Avec un trait un peu gras mais pourtant minutieux dans les décors, l’auteur nous offre donc un récit de rescapé aux implications morales assez lourdes. Les compositions sont peut-être un peu trop chargées, que le noir et blanc ne facilite en rien. Il peine parfois à rendre expressifs ces poulets, ce qui n’était guère facile, mais la dureté de la situation et les petits éclats de vie de la famille Gallo arrivent à faire passer les émotions jusqu’à nous.


Elmer le poulet est un rescapé, quelqu’un qui a cherché à survivre puis à s’intégrer dans une société majoritairement hostile. Son histoire est captivante, et même si l’auteur utilise certains clichés, rien n’est vraiment comparable avec un tel contexte, un tel univers. Adoubée par Neil Gaiman (« poignant, drôle et formidablement bien dessinée »), cette bande dessinée est donc une œuvre surprenante, qui laisse interrogateur. Elle laisse derrière lui, derrière cette histoire, tellement de questions possibles.

SimplySmackkk
7
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le 22 déc. 2020

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SimplySmackkk

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