Ce tome fait suite à Concrete Volume 5: Think Like A Mountain qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. C'est le sixième tome d'une intégrale en 7 tomes. Il comprend la minisérie Strange Armor en 5 épisodes, initialement parus en 1997, écrits, dessinés et encrés par Paul Chadwick. Il commence par une introduction de l'auteur qui revient rapidement sur le projet avorté de film, ainsi que sur les raisons qui l'ont poussé à réaliser une minisérie consacrée à l'origine de son personnage.


Le temps est venu pour Ronald Lithgow de raconter sa propre version des circonstances qui lui ont donné une peau de pierre, aboutissant au fait qu'il prenne le nom de Concrete. Enfant, il n'était pas sportif, et préférait la lecture, en particulier les récits d'expédition, celle de John Hanning Speke (1827-1864) et Richard Francis Burton (1821-1890) pour trouver les sources du Nil, celle de Maurice Herzog (1919-2012) pour gravir l'Annapurna, ou encore celle de Thor Heyerdahl (1914-2002) pour rallier les îles polynésiennes avec son radeau le Kon-Tiki. Ayant terminé ses études et ayant conscience qu'il n'avait pas la stature d'un explorateur, il s'est lancé dans une carrière de rédacteur de discours, rapidement embauché par le sénateur Mark Douglas. Ce vendredi-là, Ron Lithgow part pour un week-end de camping et d'escalade dans les montagnes avec son copain Michael. Ce dernier conduit, et ils commencent par passer chez Lisa, l'ex-femme de Ron pour qu'il récupère son matériel de randonnée. L'entrevue est brève et fraîche, entérinant définitivement la mort de leur relation.


Arrivés sur place, Ron et Michael déposent leur matériel et commencent l'ascension d'une paroi rocheuse. Au bout de quelques mètres de dénivelé, Ron décide de jeter la photographie de Lisa au vent, mais glisse. Fort heureusement Michael le rattrape et lui évite d'aller s'écraser plusieurs mètres plus bas. Ils découvrent une importante faille dans la roche et décident d'aller l'explorer. Ils se retrouvent face à deux créatures de pierre qui les neutralisent et les emmènent sous leur bras. Ils les attachent sur ce qui pourraient s'apparenter à des tables d'opération. En reprenant conscience, Ron et Michael se rendent compte qu'ils sont maintenant dans des corps de pierre et que les extraterrestres sont dans leur corps de chair dont ils ne prennent pas grand soin.


Étrange : Paul Chadwick avait déjà raconté comment Ron Lithgow était devenu Concrete, dans une histoire d'une soixante de pages, présente dans le premier recueil VO : Concrete Volume 1: Depths. L'introduction permet de comprendre que l'auteur a souhaité revisiter ce récit des origines à l'occasion de d'un projet de film : il s'agit d'une histoire entièrement nouvelle, ne reprenant aucune planche de la première, avec une pagination deux fois plus importante. Le principe narratif est de présenter le point de vue de Ron Lithgow sur ce qui est arrivé. Le lecteur retrouve donc les étapes qu'il connaît déjà : les extraterrestres, le sort de Michael, le retour au monde civilisé et la prise en charge par l'armée et par la biologiste Maureen Vonnegut (pas l'écrivain), la célébrité, le recrutement de Larry Munro, et l'interview avec la journaliste Tawny. Indubitablement, si le lecteur a lu le tome 1, il y a une forme de redite puisqu'il connaît déjà toutes les grandes lignes de l'intrigue, ainsi que la majeure partie des péripéties, certaines étant reprises d'histoires courtes. D'un autre côté, c'est l'occasion de relire cette origine dans une forme plus aboutie, racontée par son créateur avec une quinzaine d'années d'expérience de plus en tant que bédéaste. Le lecteur grimace un peu de voir que les pages sont assez foncées : en effet pour cette réédition, l'éditeur a choisi un format noir & blanc afin de conserver un prix abordable, mais en scannant les planches en couleurs ce qui les rend souvent assez sombres. Le lecteur aurait préféré une vraie version noir & blanc à partir des planches de Paul Chadwick, avant la mise en couleurs de Chris Chalenor.


Ce récit d'origine fait apparaître toutes les particularités de cette série, tout ce qui la met à part de la production de superhéros, mais aussi ce qui la différencie d'histoire d'être humain transformé en monstre. Ron Lithgow est transformé en une créature de pierre plutôt ronde, avec une force surhumaine et d'autres capacités extraordinaires qu'il découvre progressivement. Il ne décide pas de devenir un superhéros. Il ne lutte pas contre le mal ou contre des gugusses en costume coloré, un développement proprement inimaginable à en 1986, lors de sa première apparition. En fait, Concrete se rend vite compte qu'il ne sert à rien dans le monde réel, ou peu s'en faut. Pire, sa nouvelle morphologie le met à l'écart de l'humanité : sa grande force l'empêche quasiment de toucher un être humain de peur de le blesser, et il n'a plus de sens du toucher. Il se retrouve donc isolé, coupé du reste de l'humanité, et coupé de l'individu qu'il était avant de se retrouver dans un corps de pierre. Les gens autour de lui le voit au mieux comme une curiosité, au pire comme un objet d'étude, une personne pouvant être manipulée pour servir leurs intérêts, sans avoir à se préoccuper de qui il est ou même de ses émotions.


Paul Chadwick dessine dans un registre réaliste et descriptif. Cette approche réaliste participe au fait de montrer cette créature extraordinaire, dans le monde réel, et de constater à quel point elle y est étrangère, en décalage. La silhouette de Concrete est plutôt arrondie ce qui le rend rassurant, avec des yeux très simple et une simple fente pour la bouche. Régulièrement, l'artiste rajoute des petits traits sur son corps pour rappeler sa granulosité, à l'opposé de la douceur élastique de la peau, sans trop s'attarder sur la problématique des articulations. De temps à autre, Concrete laisse des petites particules rocheuses, sa peau se renouvelant. Le lecteur relève les détails qui attestent du décalage entre Conrete et le monde normal. Il s'assoit sur un fauteuil en parpaings. Il ne passe pas l'embrasure de toutes les portes. Il ne rentre plus dans l'habitacle d'une voiture (il est transporté sur le plateau d'un pickup). Etc. Autour de lui, les êtres humains continuent de se comporter normalement : Paul Chadwick met en œuvre une direction d'acteurs de type naturaliste. Il se montre un chef décorateur soigneux pour les intérieurs, comme pour les scènes en extérieur. En observant les êtres humains normaux, le lecteur éprouve les sensations à se retrouver face à cette créature hors norme. Il sourit en voyant qu'il est tout de suite accepté par les enfants, alors qu'il provoque la crainte et la défiance des adultes.


S'il a déjà lu la première version des origines de Concrete, le lecteur peut éprouver des difficultés à savourer les apports de cette deuxième version, à prendre le recul nécessaire pour voir différemment ce qu'il a déjà lu. Pour autant, il retrouve cette créature à l'opposé des récits de monstres. Ron Lithgow n'était ni un individu sportif, ni un individu aventureux, encore moins belliqueux. Le fait qu'il ait changé de corps n'a pas changé sa mentalité et il doit relever le défi de faire le deuil de sa vie précédente, de ses motivations et de ses espoirs. Ce processus est compliqué par Joe Stamberg, le responsable militaire, qui voit d'abord en lui une menace potentielle, puis un soldat aux capacités extraordinaires qu'il faut essayer d'instrumentaliser. En outre, Ron Lithgow souffre de sa condition, et cette douleur est exacerbée par la présence de ceux qui le soutiennent. Il sait qu'il ne pourra au mieux développer qu'un lien platonique avec Maureen Vonnegut. Les questionnements romantiques de Larry Munro, l'assistant de Concrete, constituent un rappel régulier du fait que Ron ne pourra plus jamais concrétiser ses propres élans romantiques.


Cette nouvelle mouture des origines de Concrete offre plus d'intérêt pour un nouveau lecteur qui découvre le personnage, que pour celui qui le connaît déjà. Paul Chadwick raconte le début de son personnage, conservant sa gentillesse et son absence d'agressivité, ainsi que les réactions diverses des êtres humains qu'il côtoie. À l'opposé d'un récit de superhéros ou même de monstre plein de bruit et fureur, cette histoire permet d'accompagner un individu normal dans une situation extraordinaire, essayant de savoir quoi faire de son existence, tout en éprouvant une nostalgie indicible pour son existence passée d'être humain normal, qu'il ne pourra jamais retrouver.

Presence
7
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le 27 juin 2020

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