Ce tome fait suite à Jessica Blandy - tome 14 - Cuba ! (1998) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1998, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée par Renaud (Renaud Denauw), et mise en couleurs par Béatrice Monnoyer. Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 5 - Magnum Jessica Blandy intégrale T5 qui contient les tomes 14 à 17.


Jessica Blandy a pris l'avion pour se rendre à l'invitation d'une ancienne amie : Meg. Elle descend de l'avion et Meg la repère facilement grâce à sa silhouette inchangée par rapport à l'époque où elles avaient toutes les deux 17 ans. Meg emmène son amie jusqu'à sa voiture et commence à lui expliquer pourquoi elle lui a demandé de venir. Tout a commencé en février avec l'incendie de la manufacture. Certains ouvriers ont pensé que c'était Hogan, le propriétaire qui aurait mis lui-même le feu à l'atelier principal. Le lendemain, son cadavre a été retrouvé dans sa voiture qui avait versé dans un ravin. Le soir-même, le mannequin servant à exposer les robes de mariée s'est mis à briller dans la vitrine, sans raison apparente, sans explication rationnelle, phénomène qui se reproduit chaque nuit. Ce mannequin est surnommé Ginny, parce qu'il rappelle une fille qui avait vécu dans cette ville et dont tous les garçons du coin en étaient fous. Un jour, elle a disparu et personne n'a jamais su ce qu'elle était devenue. Deux mois après l'accident d'Hogan, Fletch un habitué et un brave type travaillant pour la mairie est entré dans son bar habituel et a ouvert le feu sur les clients. Il a gardé la dernière balle pour lui et s'est sauter le caisson. Il n'a donné aucune explication de son geste. Il a juste prononcé ces mots : le fléau est sur la ville.


Meg gare sa voiture devant chez elle en indiquant que son mari Billy a lui aussi entendu la dernière phrase de Fletch car il était dans le bar. Meg présente Jessica Blandy à son mari. Celui-ci lui parle de son patron Ryan Dougby. Un jour, ce dernier a reçu une boîte en carton au bureau, que sa secrétaire lui a apportée. Il l'a ouverte, et est devenu tout pâle. Il s'est levé, s'est habillé pour sortir, et est parti en emmenant la boîte et son mystérieux contenu. Le soir, il a téléphoné à Billy pour lui dire qu'il ne reviendrait plus au bureau, car de toute façon le fléau les emporterait tous. Puis, il s'est pendu dans sa chambre. La boîte et son mystérieux contenu n'ont jamais été retrouvés. Meg raconte ensuite comment le pompier Tobby s'est jeté dans le feu du haut de la grande échelle à la fin d'une intervention. La nuit, Bambing, un sans domicile fixe, se rend devant la vitrine des robes de mariée pour admirer le mannequin Ginny en train de briller. Le lendemain, Meg emmène Jessica Blandy devant l'épave d'un bateau où ont été retrouvés les corps de sept adolescents (5 garçons, 2 filles), morts d'overdose, avec une inscription relative au fléau.


Comme à chaque tome, l'horizon d'attente du lecteur est conditionné par les caractéristiques récurrentes de la série. Il en retrouve la plupart : un environnement nord-américain, une touche d'érotisme, Jessica enquêtant sur des morts sordides, des comportements anormaux apparaissant monstrueux. Le lecteur remarque rapidement que la mise en couleur a franchi un palier d'élégance. Béatrice Monnoyer continue d'utiliser des aplats de couleurs pour les surfaces détourées d'un trait fin et précis par Renaud. Elle se lance dans un rendu peint pour les arrière-plans, avec plus de confiance que dans le tome précédent, et peut-être plus d'expérience. Cela devient évident à partir de la planche 5, avec une pelouse verte qui contient des reflets jaune. Il ne s'agit plus d'un coloriage qui permet de refléter la couleur réelle et de faire ressortir les formes détourées les unes par rapport aux autres, il s'agit d'apporter des informations supplémentaires (une partie plus soumise au soleil) qui ne se limitent pas aux traits de contour ou à des effets spéciaux comme les flammes. Cet apport se retrouve avec évidence sur la planche 7 où le reflet de l'eau se retrouve dans le camaïeu du ciel alors que Jessica et Meg observent la silhouette du navire échoué au loin. La coloriste réalise des magnifiques cieux marins tout du long de cette promenade. Au fil des pages, le lecteur admire un ciel bleu traversé de reflets orange, une mer émeraude avec un ciel grisâtre, un coucher de soleil embrasé, la terre des champs avec des reflets roux.


La complémentarité entre les couleurs et les traits encrés est étonnante. Renaud est toujours aussi précis et minutieux dans ses cases : il est visible qu'il a délimité des zones avec moins de traits, avec l'intention que la coloriste les habille. Il continue de prendre en charge tous les autres éléments d'information visuelle, y compris les textures. Le lecteur ressent la frontière définissant la nature de la complémentarité entre les deux artistes. Chaque personnage dispose d'une apparence spécifique, souvent élégante, et de tenues vestimentaires appropriées aux conditions climatiques, à son occupation, à son profil socioculturel. Jessica Blandy est toujours aussi bien habillée, et séduisante, sans être vulgaire ou aguichante, un peu glaciale parfois. L'érotisme est présent à trois reprises avec une femme dénudée, très léger. Le jeu des acteurs est naturaliste, avec des postures variées et parlantes, et des expressions de visage sans exagération qui amènent parfois le lecteur à se demander ce que pensent vraiment les personnages en train de s'exprimer.


L'un des grands plaisirs de cette série est de pouvoir se projeter dans les différents lieux où se déroule l'histoire, de profiter du talent de l'artiste pour la description précise et réaliste. Dès la première page, le lecteur constate que l'exactitude tient à cœur de Renaud : les fixations des anneaux de verre sur la terrasse de l'aéroport sont techniquement irréprochables. Par la suite, le lecteur se projette avec plaisir dans plusieurs endroits : la rue de desserte bordée de pavillons dont celui de Meg, le champ s'étendant à perte de vue avec des meules de foin de ci de là, la grande terrasse de la maison de Meg avec une table pour manger dehors, la magnifique piscine de la demeure des parents de Loomie Max (une case de la largeur de la page, somptueuse, on n'a qu'une envie : s'assoir dans un transat), le diner sans panache où Jessica Blandy offre un café à Bambing, la ruelle pavée où se déroule l'agression, les pièces de la demeure de Razza et sa piscine, etc. La mise en scène est tout aussi limpide et factuelle, avec des séquences mémorables. L'artiste rehausse la démarche factuelle de sa narration par une mise en scène clinique qui fait ressortir l'étrangeté ou l'horreur de ce qui est montré. En voyant l'habitué tirer sur les clients avec son fusil à canon scié, le lecteur a l'impression de vivre un fait divers, ressentant toute l'horreur de cette tuerie arbitraire. Il éprouve l'impression d'accompagner Meg et Jessica sur la plage, de lever les yeux pour regarder passer une mouette. En tournant une page, il se retrouve dans un cimetière de nuit, à attendre de voir ce que Bambing va trouver dans un cercueil. Comme Dougby, il est troublé par la nudité de Ginny sur la plage. Il est pris à la gorge par la monstruosité du comportement d'un groupe d'individus quand ils commettent un crime abject, et dans le même temps il voit bien à quel point c'est plausible, possible comme en atteste les faits divers. Ce mode de narration visuelle produit également un effet étrange pour les éléments inexpliqués comme la meute de chiens sauvages qui se retrouvent silencieux devant la maison de Meg de nuit, ou la brillance inexplicable du mannequin dans la vitrine.


Avec cette histoire, Jean Dufaux assume pleinement une composante chronique de la série et parfois sous-entendue : une touche de surnaturel. Il n'y aura pas d'explication à la brillance du mannequin : c'est comme ça. Il n'y aura pas d'explication à la mort d'un personnage dans la piscine de la demeure de monsieur Razza : c'est comme ça. Pareil pour le comportement de la meute de chiens. Ce parti pris narratif peut agacer : le lecteur peut y voir un raccourci facile qui dédouane l'auteur de raconter une intrigue cohérente où tout est expliqué de manière rationnelle. Dans ce cas-là, il est vraisemblable que ce tome le convainc d'abandonner la série. Il est également possible de considérer que cette part d'irrationnel est le reflet ou la matérialisation de ce que le comportement humain peut avoir d'irrationnel en étant le jouet des émotions, un petit peu comme peu le faire Stephen King dans ses romans, toute proportion gardée. Sous réserve d'accepter cet outil narratif (la touche de surnaturel), le lecteur se rend compte que la série a retrouvé ses racines : confronter des êtres humains (dont Jessica Blandy) à des comportements irrationnels. Avec ce point de vue en tête, la série retrouve sa richesse thématique : l'individu qui commet un geste irréparable inexplicable et incompréhensible (mettre le feu à son usine, tirer dans la foule et se suicider..), imposer sa volonté par la force, l'usage des armes à feu, la culpabilité qui ronge le coupable mais aussi son entourage. Toute la saveur malsaine de la série est de retour : anormalité, comportement aberrant, violence infligée aux autres et à soi-même, irrationnalité.


Ce quinzième tome amène une évolution dans la série. Renaud est de plus en plus soigneux dans ses dessins combinant une précision remarquable avec une lisibilité optimale, la collaboration avec la coloriste gagnant également en sophistication. Jean Dufaux s'éloigne du simple polar réaliste avec une intrigue logique, en utilisant un élément surnaturel qui lui permet de s'affranchir d'un déroulement logique et cartésien. Cela ne peut pas être du goût du tous les lecteurs, mais il utilise cet outil avec élégance, pour des séquences malsaines qui mettent mal à l'aise, sans avoir besoin de verser dans le gore ou de mettre en scène des monstres folkloriques. L'être humain est beaucoup plus monstrueux.

Presence
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 4 déc. 2020

Critique lue 48 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 48 fois

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime