Conséquences & Responsabilités

Ce tome fait suite à Invincible T17 Nouvelle Donne (épisodes 91 à 96) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 97 à 102, initialement parus en 2012/2013, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Ryan Ottley, encrés par Cliff Rathburn, et mis en couleurs par John Rauch.

Épisode 97 - Zandale Randolph se tient devant ses parents avec le bras dans le plâtre, et sa copine Carla derrière lui : ils en déduisent qu'il a usurpé l'identité de son frère jumeau Tyrone Randolph. Zandale n'a plus d'autre choix que de leur dire la vérité sur son frère et la manière dont il a acquis ses superpouvoirs. Mark Grayson s'est rendu dans une convention de comics, et il discute avec Filip Schaff, le créateur du comics Science Dog. Celui-ci lui répond sur les risques qu'il a pris au cours des 100 numéros de Science Dog, un comics indépendant, et sur l'intérêt de faire 15 couvertures variantes pour un même épisode. Sur la base lunaire des Viltrumites, Nolan Grayson exige des réponses de la part d'Allen l'alien, et Deborah Grayson écoute les excuses d'Oliver. Enfin, Mark et Samantha finissent au lit.

C'est son comics et il fait ce qu'il veut. Le lecteur découvre interdit cet épisode qui commence de bien étrange manière. Robert Kirkman a conservé la capacité de le prendre par surprise, totalement au dépourvu : il lève le mystère entourant Zandale Randolph et ses parents en 10 pages incroyables. Le lecteur en sort sans savoir quoi en penser. Le scénariste a-t-il souhaité se débarrasser de personnages superfétatoires ? Ces actes auront-ils des conséquences par la suite ? M'enfin !!! Qu'est-ce que je viens de lire ?!? Ottley est en pleine forme que ce soit pour les décors, pour les expressions de visage avec une intensité qui peut passer pour de l'exagération à tendance comique. Une des séquences les plus choquantes de la série. Puis vient le dialogue en 2 pages avec le créateur de Science Dog qui commente ses choix scénaristiques pour célébrer le centième épisode de sa série, pile poil dans l'épisode 98 de la série Invincible. Ainsi Robert Kirkman se livre à un exercice de mise en abîme avec ses propres choix, mais pas ceux du passé, ceux de l'avenir (dans deux épisodes). Le dessinateur montre un monsieur chauve en teeshirt, avec des expressions de visage qui ne le rendent pas sympathiques, entre autodérision et caricature. Deuxième moment ahurissant, où le lecteur se demande que faire de cette mise en abîme par anticipation. La prise de risques reflète bien la façon de faire de Kirkman (à commencer par cet épisode), et dans le même temps le cynisme calculatoire de Filip Schaff ne correspond pas à l'implication honnête de Kirkman. Enfin l'épisode reprend les intrigues secondaires en cours pour des décisions majeures, sur le devenir de Nolan Grayson, et sur la relation de couple entre Samantha et Mark. Le lecteur reprend pied dans le récit, et sourit bien volontiers quand Nolan évoque une partie de jambe en l'air avec Deborah.

-
Épisodes 98 à 100 (Tout le monde meurt) - Il est temps pour Invincible (Mark Grayson) d'avoir une discussion avec Invincible (Zandale Randolph) pour savoir qui va conserver le costume et le nom d'Invincible. Puis il est temps pour Mark Grayson d'aller retrouver Dinosaurus pour savoir sur quoi il a travaillé ces derniers jours. Grayson n'est pas déçu par ce qu'il découvre, mais proprement horrifié.

Robert Kirkman est seul maître à bord et il fait ce qu'il veut. Après la discussion entre Mark et Filip Schaff, le lecteur ne sait plus s'il doit s'attendre à un événement majeur dans l'épisode 100, ou si le message était que la série continuerait comme avant, avec des événements majeurs dans tous les épisodes. Dans un premier temps, le lecteur a du mal à croire à l'événement majeur qui survient… dans l'épisode 98. C'est tellement énorme que ça ne peut pas être vrai. Le scénariste va forcément sortir une explication quelques numéros plus tard dégonflant l'ampleur de la catastrophe et montrant les conséquences ne seront pas aussi irrémédiables. D'un autre côté, Ryan Ottley met du cœur à l'ouvrage. Dinosaurus n'a jamais été aussi effrayant : énorme mâchoire allongée avec des dents acérés, petits yeux cruels, griffes tranchantes pour les mains et les pieds, et cape de criminel mégalomaniaque. Dans l'épisode 98, il dessine 2 pages avec 3 cases de la hauteur de la page montrant la destruction d'autant de capitales à travers le globe. L'épisode 99 est composé de 20 planches avec des dessins en pleine page pour rendre compte de la force de l'affrontement, l'ampleur des destructions, l'impact des coups. Non, vraiment ce combat a bien l'air d'être à prendre au premier degré, avec tous les bouleversements que ça implique.

Kirkman & Ottley n'ont pas fini de jouer avec leur lecteur : dans la première page de l'épisode 100, un adversaire éclate le crâne d'Invincible comme un œuf, image bien gore, avec des giclées de sang comme Ottley les réussit si bien. C'est énorme ! Mais quand même… Kirkman n'a quand même pas fait ça ? Il prend pitié de son lecteur et apporte la réponse dans le même épisode 100. Décidément, le scénariste ne fait rien comme tout le monde et a décidé de se montrer facétieux, du début jusqu'à la fin. Ryan Ottley donne la sensation d'avoir conscience de la chance de pouvoir illustrer une histoire aussi imprévisible et énorme. Ses dessins sont soignés, bien peaufinés grâce à l'encrage de Cliff Rathburn, sans rien perdre de leur lisibilité immédiate, de la dramatisation des émotions des personnages, des touches gore pendant les combats. Le lecteur est fasciné par ce qui se déroule sous ses yeux, à la fois doutant de la véracité de ce qui lui est montré, à la fois hypnotisé par la catastrophe. Bien sûr Kirkman ne se contente pas d'en mettre plein la vue : il continue également sa réflexion sur ce qu'est un superhéros. Mark Grayson a poussé la logique de sauver le monde jusqu'à un nouveau stade. Plus que jamais il dispose des moyens pour le faire et d'un associé pour le faire. Comme depuis le début, Kirkman écrit un comics de superhéros au premier degré, un jeune sympathique et équilibré qui réfléchit à la manière de faire profiter l'humanité de ses superpouvoirs. Il y a donc là un héros au cœur pur œuvrant pour le bien de l'humanité, sans que son altruisme ne s'apparente à du masochisme pathologique. Quelles sont les conséquences d'un tel comportement quand on possède des superpouvoirs ? À sa manière, l'auteur aborde développe l'interrogation sur les responsabilités qui accompagnent les grands pouvoirs, pas de façon intellectuelle comme pourrait le faire Alan Moore, ni de façon démonstrative, mais par l'exemple. Toujours aussi confiant dans la solidité de son récit, il ne traîne pas en route et montre comment Cecil Stedman réagit après ces catastrophes. Il n'oublie pas non plus de se montrer facétieux avec la réapparition d'un ennemi majeur d'Invincible, juste au mauvais moment.

-
Épisodes 101 & 102 - Après la fin de l'affrontement catastrophique, le temps est venu pour les autres superhéros de la Terre, à commencer par Robot (Rex Conners), de reconsidérer leur positionnement par rapport aux actes d'invincible. Dans le même temps, Deborah & Nolan Grayson doivent accepter de s'installer à bord de la base lunaire des Viltrumites pour une période de temps indéterminée. Mais Thragg se trouve dans les parages.

Kirkman et Ottley continuent de montrer les conséquences des actes d'Invincible. Le lecteur a suivi ses discussions précédentes avec Cecil Stedman et sait donc ce qu'il en est. Mais les autres superhéros ont été témoins d'actes qui ne peuvent pas être excusés et peut-être par pardonnés. Il ne s'agit pas juste de passer l'éponge ou d'attendre que le temps fasse son effet. À nouveau, les dessins de Ryan Ottley font des merveilles pour montrer l'état d'esprit des personnages, l'intensité des émotions qui les habitent. Sa direction d'acteur est également très expressive que ce soit pour le moment d'intimité entre Samantha et Mark qui parlent de leur relation et de son avenir, ou de Mark Grayson qui se rend dans le quartier général de l'Agence de Défense Globale pour vérifier de ce que Stedman a fait du corps de son ennemi. En fonction de ses convictions personnelles, le lecteur peut être plus ou moins en accord avec le choix de Cecil Stedman concernant la gestion des responsabilités ; par contre il ne peut pas y rester sans réaction.

En parallèle des responsabilités, Robert Kirkman revient sur une révélation effectuée il y a deux tomes, concernant l'existence d'une prophétie viltrumite qui concernerait directement Mark Grayson. Comme à son habitude, il sait doser l'attente pour ne pas donner l'impression de faire traîner les choses en longueur. C'est à nouveau l'occasion d'un combat des plus brutaux auquel Ryan Ottley sait conférer toute la sauvagerie attendue, toute la violence débridée des coups portés, sans oublier des giclées de sang. Quelle puissance ! À l'issue de cet affrontement et des révélations tonitruantes qui l'accompagne, le lecteur se rend compte que le pire est arrivé (Nolan Gayson dans une position de puissance inégalée) et que dans le même temps c'est peut-être un bienfait tellement le personnage a évolué… enfin peut-être.

C'est incroyable à quel point Robert Kirkman donne exactement ce qu'il veut au lecteur, et en même temps tout à fait autre chose, sans oublier de raconter une histoire de superhéros au premier degré, ni de développer des thèmes ambitieux comme la nature de l'héroïsme, l'ambiguïté de la confiance, d'une manière très prosaïque. Le tandem formé par Ryan Ottley et Cliff Rathburn a acquis une aisance d'autant plus remarquable qu'elle ne se voit que quand ils souhaitent la montrer, aussi bien pour la direction d'acteurs, que pour les plans de prise de vue. Quand ils souhaitent passer en mode démonstratif, le lecteur n'a aucune chance : il prend toute l'atrocité du moment en pleine face.