Il s'agit d'une bande dessinée de 84 pages, en couleurs. Elle est initialement parue en 2017, écrite par Jean-Noël Lafargue, dessinée et mise en couleurs par Mathieu Burniat. Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s'est fixé comme but d'explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s'agit donc d'une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.
Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle commence par un copieux avant-propos de David Vandermeulen de 9 pages, plus une demi-page de notes. Il commence par évoquer la tempête solaire du 28 août 1859 qui avait occasionné le dysfonctionnement de la majeure partie du réseau télégraphique mondial. Il développe ensuite l'impact qu'aurait une tempête solaire de la même magnitude sur le réseau de la toile de nos jours. Il évoque ensuite la fragilité du réseau internet à certains endroits du globe, lorsqu'il y a destruction physique d'un simple câble. Il revient en 1995 pour les balbutiements du déploiement d'internet en France, passe au bug de l'an 2000, au sort de quelques start-ups informatiques, certaines mal calibrées, d'autres en avance sur leur temps. Il termine avec le développement des bulles idéologiques, facilité par Facebook, les fermes à clic, et les micro-travailleurs.
La bande dessinée commence en évoquant madame Hayastan Shakarian (environ 75 ans) dans l'Ossétie du Sud, en Géorgie, près de Tbilissi en 2011. Avec sa pioche et sa cariole, elle se rend dans un coin à l'écart dans les montagnes, afin de déterrer des câbles en cuivre pour les revendre. Pas de chance, avec sa bêche, elle sectionne la fibre optique qui assure la liaison internet pour toute l'Arménie. La fibre prend vie sous ses yeux et propose de lui faire découvrir ce qu'est Internet. Il commence par évoquer l'un des besoins de l'humanité : communiquer, y compris sur de grandes distances, y compris à de nombreuses personnes en même temps. Il part des signaux de fumée pour arriver rapidement à Internet et son ossature TCP/IP, telle que définie par Bob Khan et Vint Cerf. Durant ces 84 pages, les auteurs vont aborder des aspects très variés d'internet, des différentes phases de sa construction, aux réseaux sociaux, en passant par le contrôle de l'information ou le Point Godwin.
Dans son avant-propos, David Vandermeulen passe en revue l'histoire d'internet, mais avec un autre point de vue que celui de la bande dessinée. Il commence par rappeler la fragilité des réseaux technologiques construits par les hommes face aux phénomènes naturels, en l'occurrence une tempête solaire. Il expose ensuite la fragilité de certains points physiques du réseau du fait d'un maillage dépendant de câbles qui n'ont rien de virtuel. Enfin, il revient sur l'apparition d'Internet en France, depuis la présentation des autoroutes de l'information en 1995 au journal télévisé, jusqu'à l'utilisation des données personnelles des internautes à leur insu, en passant par les annuaires papiers des adresses de sites internet, et la prolifération des start-ups informatiques au début des années 2000. Le jeune lecteur découvre des faits qui lui semblent dater de la préhistoire (ou au moins du siècle dernier). Le lecteur qui a vécu ces années se rappelle de ces phases hésitantes avant l'avènement d'Internet à l'échelle planétaire.
Jean-Noël Lafargue est déjà l'auteur qui a écrit le premier tome de cette collection : La petite Bédéthèque des Savoirs, tome 1 - L'intelligence artificielle. Fantasmes et réalités., mis en images par Marion Montaigne. Mathieu Burniat a illustré Le mystère du monde quantique de Thibault Damour. Comme les autres tomes de cette collection, cet ouvrage s'adresse à des lecteurs curieux sur le sujet, sans être déjà des spécialistes. Il s'agit bien d'une vulgarisation qui souhaite passer en revue plusieurs facettes du thème abordé. En outre, il ne s'agit pas d'une fiction. Le scénariste a choisi de présenter son exposé sous la forme d'un dialogue entre Hayastan Shakarian et cette fibre optique incarnée. La première joue le rôle de candide, et ses questions peuvent également servir de transition entre 2 développements.
Malgré la pagination significative et la densité des informations, les auteurs ne peuvent pas passer en revue tous les aspects d'Internet. En particulier si le lecteur s'est déjà demandé comment Google peut fournir un milliard de réponses à sa requête en moins d'une seconde, ou comment fait Facebook pour lui proposer des amis avec une pertinence relevant du surnaturel, ou encore comment Amazon fait varier ses prix, il en ressortira frustré. D'un autre côté, le titre ne promet pas un décorticage des algorithmes, mais une vision globale d'internet. Par contre, il retrace rapidement son historique, en évoquant l'ossature TCP/IP de manière imagée, la différence entre le Web et Internet, le rôle de la DARPA et du CERN, ainsi qu'une partie de la technologie afférente qui a été déposée dans le domaine public.
Jean-Noël Lafargue s'attache donc à évoquer le plus possible d'aspects d'Internet, ce qui l'oblige à être à chaque fois concis, ce qui peut s'avérer frustrant pour le lecteur. En fonction de ses inclinations, il aurait peut-être aimé en savoir plus sur le volet économique et social des micro-travailleurs, sur le mode de fonctionnement du Darknet, sur les conséquences psychologiques de la mise à disposition de la pornographie à des adolescents de plus en plus jeunes, sur la constitution de communautés virtuelles avec des idéologies nauséabondes, etc. Il doit alors se souvenir qu'il s'agit d'un ouvrage de vulgarisation et qu'il peut ensuite se diriger vers des ouvrages spécialisés sur l'un ou l'autre de ces thèmes. Par contre la force de cet ouvrage est de passer en revue chacune de ces notions pour fournir un point de départ au lecteur, avec les informations de base. En prenant un peu de recul, il s'aperçoit également que l'auteur montre régulièrement que tout n'est pas noir & blanc. Il évoque la manière dont Microsoft a tenté de s'approprier le Web au début de la création des navigateurs, ou comment Google adapte ses algorithmes aux exigences légales des états. Il évoque la manière dont Internet permet un accès illimité à la connaissance, mais aussi comment Google, Facebook et Microsoft rendent possible une forme de censure a priori, et non plus a posteriori.
Le principe de réaliser un ouvrage didactique sans recourir à la fiction constitue un défi artistique difficile à relever en bande dessinée. Pour son précédent ouvrage sur l'intelligence artificielle, Jean-Noël Lafargue bénéficiait de la verve de Marion Montaigne, auteure à part entière. Ici, il bénéficie du savoir-faire de Mathieu Burniat, mais qui reste dans une fonction d'illustrateur, sans ajouter au texte de l'auteur. Le lecteur apprécie tout de suite son trait caricatural pour les visages, ce qui les rend très expressifs, et sa capacité à représenter des individus réels comme Bill Gates ou Edward Snowden. Le choix de faire s'incarner une candide et un sachant impulse une dynamique visuelle qui permet de montrer le cheminement de l'exposé sous la forme du déplacement des personnages. Après avoir fait connaissance de madame Hayastan Shakarian, le lecteur apprécie de pouvoir voir d'anciens systèmes de communication tel que le télégraphe optique des frères Chappe, ou un vieux modèle de Modem. Régulièrement les dessins de Mathieu Burniat permettent de voir ce dont parle l'auteur de manière explicite : les petits wagonnets et le monorail pour l'ossature TCP/IP, les différentes couches Internet / fournisseurs d'accès / protocole Web / fournisseur d'accès / moteur de recherche, les plug-ins (comme Java, Futur Splash, Quicktime, Silverlight), le calcul distribué, les différences de retour à une question en fonction de la localisation géographique de l'utilisateur, le mème de John Travolta, les exemples de Net Art, ou encore le collectif Anonymous. Il faut un peu de recul pour se rendre compte de ce qu'apportent les dessins, au-delà du principe de base que le lecteur n'aurait pas lu un tel ouvrage sans image. 9 fois sur 10, l'artiste est en phase avec Lafargue pour apporter des informations visuelles de type descriptif soulageant ainsi le texte, et accompagnant son rythme, tout en densifiant le flux d'informations. Il n'y a qu'à 2 reprises que son savoir-faire semble pris en défaut (pages 58 & 62) où il ne représente que madame Hayastan Shakarian en train de se déplacer. Si le lecteur y prête attention, il voit aussi que Burniat ajoute quelques éléments humoristiques, par exemple lorsque le câble s'enroule autour de la taille d'Hayastan Shakarian, sous la forme d'une bouée.
Sous réserve de garder à l'esprit qu'il s'agit d'une entreprise de vulgarisation, le lecteur bénéficie d'un tour d'horizon très large, même s'il reste incomplet, dépassant les simples lieux communs, avec une forte densité d'informations, rendu digeste par une mise en scène plus sophistiquée qu'il n'y paraît. Il suffit de considérer l'interaction entre le dialogue et ce que montrent les images, pour se rendre compte de leur complémentarité et du travail préparatoire que cela a dû demander.