Ce tome fait suite à Invisible Republic - T1 (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2015/2016, coécrits par Gabriel Hardman & Corinna Bechko, avec des dessins et un encrage de Gabriel Hardman, et une mise en couleurs de Jordan Boyd.
En 2843, sur Avalon l'un des lunes de la planète Asan, la baronne Dame Panonica de Roths est de retour après 30 ans d'absence, attendue par la presse à la descente de sa navette spatiale. Pendant ce temps-là, les journalistes Croger Babb et Woronov sont emmenés dans un véhicule pour une audience avec Maia Reveron. Ils ont les yeux bandés, et le véhicule traverse une grande étendue désertique de boue. Il y a 42 ans, Maia Reveron était encore une jeune femme qui avait décidé de suivre son cousin Arthur McBride, embringué dans une aventure politique peu claire.
Les circonstances avaient fait de McBride et Reveron, 2 fugitifs pour avoir tué des policiers faisant respecter la loi telle que définie par la tutelle du gouvernement de la Terre. Les 2 rebelles en fuite avaient trouvé refuge dans les derniers étages d'un immeuble de haut standing, avec quelques autres fuyards. L'opinion publique des natifs de Maidstone avait pris fait et cause pour les actes de rébellion d'Arthur McBride (la participation de Maia n'ayant pas été mentionnée). Au temps présent, Croger Babb se retrouve en possession du journal intime de Maia Reveron décrivant l'ascension d'Arthur McBride comme représentant du parti de libération de Maidstone. 42 ans plus tôt, le même McBride est encore un individu aux convictions politiques peu affirmées.
Le premier tome de cette série avait laissé une forte impression, à la fois pour des dessins assez sombres transcrivant des environnements peu reluisants, et une atmosphère sans beaucoup d'espoir, à la fois pour un scénario ambitieux utilisant les libertés offertes par le genre de la science-fiction pour évoquer l'engagement politique, dans ce qu'il a de plus pragmatique. Le lecteur apprécie que les auteurs aient pu réaliser la deuxième partie de leur récit, en attendant de pouvoir lire la troisième Invisible Republic Volume 3, menant ainsi à bien leur intrigue. Le lecteur prend plaisir à retrouver l'ambiance graphique très particulière de la série. Jordan Boyd effectue toujours un travail si personnel de mise en couleurs. L'ambiance reste plombée par des teintes gris-vert qui attestent d'un quotidien déprimant, et peu joyeux. Mais au lieu de rendre la lecture morose, ces teintes font d'autant plus ressortir la vie apportée par les personnages dans ces environnements. Il n'applique pas une couleur uniforme à chaque surface délimitée par les traits encrés, mais des gradations d'une même nuance, pour rendre compte de l'éclairage, et aussi pour faire ressortir certaines formes par rapport à d'autres. Il s'agit d'une véritable approche structurée et personnelle de la mise en couleurs, conçue sur mesure pour souligner le fond du récit. Dans le même ordre d'idée, les séquences du passé bénéficient d'une mise en couleurs plus variée et un peu plus vive, comme si les personnages étaient plus neufs, pas encore englués dans leurs idées arrêtées, et subissant le poids du passé.
Le lecteur retrouve également les dessins de Gabriel Hardman, dont la première caractéristique réside dans les traits de contours. L'artiste adopte une approche descriptive, détoure les formes avec des traits précis, et nets. Cependant certains contours donnent l'impression de ne pas avoir été correctement ébarbés, comme s'il subsistait des aspérités qui n'avaient pas pu être lissées. Renforçant cette impression de rugosité parfois piquante, les ombres portées le sont sous forme de zones géométriques mal définies, et totalement irrégulières. Il en découle une impression qu'il subsiste des zones de flous dans les personnages ou les décors, ou en tout cas des zones qui restent impénétrables au regard, qui conservent une part de mystère, quelle que soit la minutie et l'application avec laquelle le dessinateur a pu représenter le reste. À nouveau cette approche graphique est en phase avec un récit qui dévoile le passé petit à petit, les faits et gestes des uns et des autres, leurs relations interpersonnelles et leurs partis pris, mais avec la certitude qu'il demeure bien d'autres secrets.
Au fil des séquences, le lecteur constate que cette forme des contours qui peut sembler un peu hâtive ne l'est en rien. Pour commencer, tous les personnages sont aisément reconnaissables aux traits de leur visage, et à leur morphologie, à commencer par leur taille et leur corpulence. Ensuite, en regardant un peu les tenues vestimentaires, le lecteur constate qu'elles évoluent en fonction des époques, et qu'elles sont cohérentes entre elles dans une vision assez pragmatique du futur. Ensuite, les personnages évoluent dans des environnements variés, dans lesquels le lecteur peut se projeter grâce au bon niveau de détail. Croger Babb et Woronov sont emmenés dans une immense halle industrielle, avec structure métallique apparente, grands volumes, tuyaux divers et variés, et un sous-sol aménagé en cohérence avec l'usage du bâtiment, ce qui ne veut pas dire qu'il ne recèle pas quelques surprises (dont une de taille). Les étages supérieurs de l'immeuble où squattent la bande de rebelles disposent eux aussi de beaux volumes, mais sans comparaison possible avec ceux de la halle industrielle, ce qui atteste cette fois-ci de la richesse du propriétaire. Le lecteur en a la confirmation lorsque l'un des personnages a accès aux étages inférieures habités, avec un ameublement luxueux. Il peut également apprécier le contraste entre la tranquillité du marché de produits de luxe, et l'espace confiné de la station orbitale.
Le lecteur apprécie également la qualité de la mise en scène de l'artiste. Lors des séquences de dialogue, il lui arrive de dessiner des têtes en train de parler pendant une page, mais il s'agit plus de plan sur des bustes, avec des inclinaisons différentes, et des changements d'angle de vue pour accompagner soit le changement de prise de parole entre interlocuteurs, soit pour insister sur qui a le dessus psychologique dans la conversation. Il y a également de nombreuses conversations qui bénéficient d'une mise en scène plus sophistiquée, avec des plans plus larges pour montrer ce que font les personnages, ce qui les entoure. Gabriel Hardman réalise des séquences d'action tout en sécheresse, sans une once de romantisme de la violence, sans glorification des capacités physiques, mais pas sans force. Il prend également soin de montrer les conséquences, à commencer par les blessés, avant même les destructions matérielles.
La partie graphique fait exister un monde de science-fiction, plus désespérant que désespéré, plus résigné que débilitant, avec des personnages adultes, sans être auréolés de prestige, sans dramatisme émotionnel. Ce parti pris est parfaitement en phase avec la nature du récit. Le lecteur peut très bien apprécier ce récit au premier degré. Les coscénaristes ont établi au départ la conclusion : le régime auquel a participé Arthur McBride en héros a fini par s'effondrer. Ils entremêlent avec élégance 2 fils chronologiques qui progressent de concert, le présent permettant de maintenir une tension narrative, et le passé venant éclairer le comportement des individus au présent. Sur ce plan littéral, le récit s'avère très prenant, sous la forme d'un thriller mâtiné de politique, le lecteur se demandant bien qui finira par avoir le dessus entre les différentes forces en présence. En découvrant le passé au fur et à mesure, il prend conscience qu'il n'est pas possible de départager les factions entre Bien & Mal. Chaque faction a son propre objectif, son propre plan d'action. Qui plus est, même si chaque faction est représentée par son chef, Corinna Bechko & Gabriel Hardman montrent bien que les individus qui composent chaque groupe disposent de motivations personnelles similaires mais pas identiques à celles des chefs ou de la faction. Ils saupoudrent le tout d'une petite touche de paranoïa engendrée par la clandestinité dans laquelle le groupe de rebelles est contraint de vivre, ce qui installe une tension sous-jacente permanente.
Il est également possible de lire ce récit au second degré : la description des forces qui façonnent les personnages publics, à commencer par les hommes politiques, la manière dont ils évoluent, la distance qui sépare leur image publique de l'individu qu'ils sont dans leur vie. Les auteurs réalisent un travail fascinant en commençant par exposer la réputation d'Arthur McBride telle qu'elle s'est figée après sa mort, puis ils racontent son histoire personnelle, au travers des yeux de sa cousine Maia Reveron. Finalement, le lecteur n'a pas accès aux pensées intérieures de McBride, mais il apprend à le connaître au travers de ses actions et de ses dires. Les auteurs montrent comment l'image publique se nourrit de fait tels que constatés par les médias, mais déconnectés des motivations et des circonstances qui ont amené l'individu à se conduire ainsi. Le lecteur est aux premières loges pour voir cette déconnexion, sans pour autant que McBride ne donne l'impression d'être maître des déformations qui se produisent, des interprétations qui sont données à ses actes. À ce deuxième niveau de lecture, il s'agit d'une analyse pénétrante de la construction d'une image publique, semblant réfléchie pour le grand public, faite de tâtonnements et d'opportunité lorsqu'on la voit de l'intérieur.
Ce deuxième tome confirme l'excellente qualité de cette série qui baigne plus dans la politique fiction que dans la science-fiction. Les auteurs savent raconter un récit prenant, baignant dans un monde consistant, avec une ambiance cafardeuse, tout en se livrant à une analyse de la figure de l'homme politique et du rebelle politique aussi perspicace qu'intelligente. Remarquable. 5 étoiles. Ils se payent même le luxe de terminer avec 8 pages de texte consolidant leur parti pris de science-fiction, ou plutôt d'anticipation sur des sujets comme les ressources nutritives des algues, ou la possibilité de construire un ascenseur orbital.