Ce tome comprend plusieurs histoires formant un tout, initialement parues en 1995/1996 dans 2000 AD du prog (numéro) 984 au prog 999 : l'affectation de Judge Dredd en tant que responsable de la Maison de Secteur (équivalent d'un commissariat) du quartier appelé "The Pit", où règne une corruption généralisée et qui cumule l'affectation de tous les juges ayant démérité. Toutes ces histoires sont écrites par John Wagner. 4 dessinateurs se relaient pour illustrer les épisodes : Carlos Ezquerra (14 épisodes), Colin McNeil (3 épisodes), Alex Ronald (6 épisodes) et Lee Sullivan (7 épisodes). Ce tome est découpé en 6 chapitres qui forment une histoire continue : The Pit (progs 970 à 983), True Grot (progs 984 à 986), Unjudicial liaisons (progs 987 à 989), Last rites (prog 990), Declaration of war (progs 991), et Bongo war (progs 992 à 999).
Judge Dredd a été dépêché par le Juge en Chef (Chief Judge) pour améliorer les résultats du commissariat le plus pourri de tout Mega-City One : House Sector 301, surnommé "The Pit". Sur place il constate rapidement que les juges de The Pit n'ont pas les mêmes exigences que ceux des autres secteurs, à commencer pour eux-mêmes. Au cours de ces épisodes, Dredd doit déterminer à qui il peut faire confiance, résoudre le cas d'un juge infiltré (Judge Guthrie) qui est accusé d'avoir tué 2 autres Juges, prêter main forte aux juges sur le terrain, découvrir pourquoi la Juge Galen DeMarco a demandé à être affectée dans ce secteur, et enfin trouver le moyen de faire coffrer Fonzo Bongo, l'un des patrons du crime organisé de ce secteur.
Comme pour tous les personnages de fiction récurrents propriété d'un éditeur, c'est toujours un émerveillement de voir que les scénaristes sont capables de renouveler leurs histoires de décennie en décennie. John Wagner a été un des scénaristes de Judge Dredd presque depuis sa création en 1977, et il propose ici une situation nouvelle pour Dredd qui se retrouve à effectuer un travail à la fois de terrain et de bureau. Wagner concocte un récit mêlant plusieurs intrigues dans un même environnement, avec l'apparition de nouveaux personnages dont certains qui sont restés dans la mémoire des lecteurs de la série (à commencer par Galen DeMarco). Les 2 premiers tiers sont vraiment réussis, avec cette purge de la corruption dans le commissariat, et des trouvailles alliant grotesque et action. Dans "True Grot", 2 activistes pas très malins décident de faire exploser un véhicule de livraison transportant une cargaison de nourriture industrielle appelée "True Grot". Il s'en suit une pluie de canettes de True Grot sur un quartier de la ville, avec une foule de défavorisés récupérant cette marchandise (tombée du camion) providentielle. La course poursuite entre les Juges et ces 2 activistes s'en trouve compliquée d'autant. L'humour britannique de John Wagner tourne à plein régime dans le registre de l'ironie, puisque les 2 activistes ne peuvent que constater qu'ils ont réussi leur coup, mais que le True Grot est une nourriture garantie sans aucun apport nutritif, de la junk food de la pire espèce.
Pendant ces 2 premiers tiers, le lecteur peut donc se délecter d'un bon polar, avec personnages attachants, suspense lié à l'exécution de ce nettoyage de la corruption, et humour inventif, décapant, et parfois grotesque. Le dosage du dernier tiers est moins réussi puisque Wagner décide de terminer par une action concerté contre Fonzo Bongo, dans un mode narratif de type grosse farce. Fonzo est dépeint sous les traits d'un hippie jouant du bongo (d'où son surnom, comme c'est fin), dirigeant son empire à coup d'exécutions sommaires et de réparties de type "C'est pas cool" (quel esprit de nuance et d'à propos), en pleurnichant (parce que Dredd ne respecte vraiment rien). Côté action, Wagner ne fait pas non plus dans la dentelle puisque Dredd se retrouve encerclé avec une poignée de juges dans un commissariat secondaire appelé "Alamo" (Ouah ! la référence subtile) entouré par une armée de méchants qui veulent leur peau. La chute de cette histoire est navrante par son deus ex machina, relevant d'un humour ras-les-pâquerettes.
Carlos Ezquerra dessine donc un peu plus de la moitié des épisodes (14 sur 26), avec des dessins clairs et lisibles, des compositions de page à base de cases sagement rectangulaires, et toujours cette capacité à donner des expressions sévères à Dredd, et à mettre en avant son menton en galoche. Il parsème chaque épisode d'une ou deux postures typiques de Dredd (à commencer par l'avancée en moto) établissant ainsi une continuité visuelle avec la série. Ses dessins rendent bien compte du caractère outré des uniformes des juges (épaulettes et bottes démesurées), à la fois très imposants, et légèrement ridicules. Au fil des pages, il apparaît que la mise en couleurs (avec quelques teintes fluo) écrase tous les dessins qui disparaissent dans des camaïeux un peu agressifs. Les couleurs prédominent à ce point sur les dessins, que s'il n'y fait pas attention, le lecteur ne remarquera pas forcément le passage d'un dessinateur à un autre. Pourtant Colin MacNeil a un style un peu plus propre sur lui, avec des traits pour détourer les silhouettes plus nets. Lee Sullivan a un style un peu moins professionnel, un peu plus brouillon, avec des expressions et des postures moins originales. Alex Ronald a un style beaucoup plus clair et aéré, mais peu enthousiasmant, trop prosaïque.
Cette histoire complète de Judge Dredd constitue un bon divertissement, avec des moments excellents dans ses 2 premiers tiers, et des dessins compétents de Carlos Ezquerra. Par contre le lecteur a l'impression de découvrir une parodie cumulant les clichés pas très drôles dans le deuxième tiers.