Disons le tout net pour les amateurs de BD, ceux qui me lisent régulièrement et ceux qui découvrent Jeremiah par mon intermédiaire, cet album est le dernier de la série dont je ferai une critique. La série est pourtant loin d’être terminée avec ce douzième épisode. Si j’ai entrepris de relire ces 12 albums, c’était pour rendre compte de l’épisode précédent qui me tient suffisamment à cœur pour figurer dans mon Top 10. De « Julius et Roméa » je retiens néanmoins un fait capital, Hermann a travaillé en solo. L’absence de F. Raymond pour le coloriage n’est pas encore vraiment préjudiciable, mais elle se fera sentir dès l’album suivant. De plus, le scénario fait bien sentir qu’Hermann a plus ou moins fait le tour de ce que son hypothèse de base lui apportait comme potentiel. Peut-être aurait-il pu évoluer autrement en collaborant avec un scénariste. Toujours est-il qu’il a fait ses choix et que je fais les miens en tant que lecteur.
Jeremiah et Kurdy arrivent dans une ville où ils vont trouver de l’embauche. Ils se retrouvent dans une équipe avec uniformes et numéros, comme dans « Les héritiers sauvages ». La classe politique est pourrie comme dans « Boomerang » et une femme au type asiatique évident met le grappin sur Jeremiah comme Lena dans « Les eaux de colère ». Et comme dans « Un cobaye pour l’éternité » le personnage de Stonebridge intervient pour devenir un personnage récurent.
L’aspect manichéen de l’univers d’Hermann ressort encore une fois. Il est ici accompagné d’une histoire d’amour pour midinettes côtoyant un avatar personnel de super-héros façon Spiderman. Hermann se révèle encore une fois un doux ( ?) idéaliste se méfiant encore et toujours de tout ce qui ressemble à un ordre établi.
Nous avons donc une ville moderne repliée sur elle-même où des privilégiés vivent confortablement. Cette situation leur convient suffisamment pour s’accommoder de l’ordre établi qui fait régner l’ordre et la discipline. De temps en temps a lieu une corrida dans une arène qui sert de défouloir.
Ce bel ordonnancement est troublé par Romea, la fille du gouverneur qui refuse de se laver pour des raisons personnelles que son père ne peut pas réfuter. Romea est subjuguée par un homme qui joue régulièrement de la cornemuse sous ses fenêtres : Julius qui se révèle être le frère de Stonebridge. Stonebridge est sous bonne garde, enfermé dans une cellule par un homme vieillissant et bedonnant qui a trouvé refuge dans un local de télésurveillance abandonné d’où il peut voir tout ce qui se passe dans la ville. La situation de cet homme n’est pas sans rappeler celle de l’homme errant solitaire dans « Delta ». Enfin et surtout, le calme dans la ville est troublé par un homme qui, de temps en temps vient faire une sorte de strekking tout de noir vêtu, masqué et chaussé de baskets. Il est musclé, rapide, agile et malin. Il ne fait rien de très extraordinaire à part envoyer valser des poubelles publiques et montrer à tout un chacun qu’il nargue les forces de l’ordre en toute impunité.
Hermann se montre encore une fois habile scénariste, car il sait exactement où il veut en venir. Il réussit à imbriquer tous les éléments importants de manière à captiver le lecteur du début à la fin. Une fois de plus, il s’arrange pour révéler progressivement tous les tenants et aboutissants et il ménage un beau suspense. Autant dire que la fin est bluffante, car il vaut mieux revenir à la planche 35 pour deviner par quel enchaînement de circonstances et de décisions, Jeremiah et Kurdy peuvent se retrouver à la fin.
Hermann est toujours impeccable pour croquer les physiques et caractères des uns et des autres, y compris les personnages secondaires. Les dialogues sont à la hauteur, entre les manœuvres politiciennes, la séduction-domination et les insolences de Kurdy. Son dessin évolue doucement vers quelque chose d’un peu moins personnel qu’avant, mais ça reste très agréable. Quant à l’organisation des planches, c’est toujours celle de quelqu’un qui connaît bien son affaire et qui met l’espace dont il dispose au service de son histoire. Mais le temps des dessins fascinants dans des cases immenses est fini, malgré quelques cases d’un tiers de page et une seule plus grande. Par contre, Hermann reste un maître dans l’art de donner la sensation de mouvement, en particulier grâce à une structure narrative toujours très cinématographique.
Quoi qu’il en soit, un titre qui fait honneur au format traditionnel de la BD franco-belge (44 planches). Parution : octobre 1986.