À vous faire relativiser le handi-sport

Allons droit au but ou même droit au panier, c'est d'un carton rouge vif que je sanctionne cette triste partie dont les prolongations n'auront duré que trop longtemps. Certains mangakas savent partager leur passion pour un sport là où d'autres cherchent apparemment à nous en dégoûter insidieusement. Fujimaki Tadatoshi et de ceux-là. Si le rendu de son œuvre était une invitation au partage de son engouement pour le basket, nous ne pouvions alors qu'en déduire son mépris pour le sport au simple ressenti de lecture.
Kuroko's Basket, ce n'est pas une idée, ça n'en a même pas la forme et encore moins le fond. Plus qu'un projet de manga, c'est un plan de carrière de moyen de terme. Le manga de sport est une affaire plus juteuse et rentable qu'il n'y paraît. Un récit linéaire déjà tout tracé duquel on n'aura plus qu'à esquisser les modestes embûches d'ici à ce que se pointe le dénouement. Il y a une équipe/un sportif, il y a un tournoi, un trophée, ne reste alors qu'à accorder le tout en insérant le plus de compétitions envisageables d'ici à ce que le rideau ne s'abatte. La voie royale de la publication de moyen-terme, un succès à moindre frais tout trouvé. Et cette voie, il aura fallu que l'auteur l'emprunte à toute blinde en conduisant les yeux fermés, s'imaginant - à juste titre - que rien ne viendrait obstruer son parcours, ce dernier n'étant alors plus qu'une ligne droite dont l'arrivée peut être aperçue depuis le point de départ.


Ce n'est pas avec une rétrospective que l'on entame le scénario, mais une légende. Pas celle de quatorze guerriers, ni celle du sacrifice du dernier Hokage mais de plus flamboyant encore : la Génération des miracles. Une génération qui en préfigure la cour. D'emblée, on aura compris que le traitement des personnages promettait d'être ridicule au possible. Notons que Kuroko's Basket assume en priorité son identité de Shônen loin devant celle de manga sportif.


Au regard de ce que l'on en voit, c'est déjà faire preuve d'indélicatesse que de mentionner le dessin. Ça suit une mode. Pas une bonne. Celle qui use et abuse des contours épais et noircis et qui préconise de renverser l'encrier sur chaque planche dès lors où il est question d'occasionner le moindre soupçon de nuance. Un style ignoble, impersonnel, même vénéneux alors que la couleur annonce le contenu.
La conception graphique des personnages est évidemment dépourvue du plus infime semblant d'imagination ; apprêtez-vous à devoir plisser les yeux afin de pouvoir distinguer un personnage d'un autre. Il faudra davantage vous en remettre à votre sens de la déduction et au numéro sur chaque maillot qu'à vos nerfs optiques.


Pour ce qui est de la personnalité, la nature même du coup de crayon conjecturait de la composition du venin. De personnalité, ils n'en écoperont que des ersatz de ce que l'auteur daignera leur accorder. On devine alors Tadatoshi particulièrement avare ou tout bonnement inapte à quoi que ce soit se rapportant aux choses de l'écriture. C'est selon. Si ce n'est une salade d'archétypes sans vinaigrette, il ne se trouvera pas là - ni où que ce soit dans l'œuvre - de quoi faire bombance. Kuroko's Basket serait plutôt un menu de régime du fait que ce qu'il a à nous offrir est bien maigre et que nous ne sommes pas toujours assurés de pouvoir déglutir sans régurgiter.
Ça a beau être une œuvre sur le basket, il ne suffit pas de rapporter que le ballon rebondisse sur le parquet pour bricoler une histoire consistante. Ce sera d'ailleurs là le seul rebondissement scénaristique à espérer au milieu de matchs si convenus qu'on les jurerait truqués.


Que ceux qui - par passion pour le basketball - se lanceraient malgré tout dans l'aventure en dépit de mes avertissements se rassurent, le manga ne souffre d'aucune comparaison avec Slam Dunk. Sûrement pas en terme de qualité. Partout où Takehiko Inoue aura érigé des monuments stratosphériques à la gloire du basket et de ses remarquables personnages, Tadatoshi aura laissé derrière lui des trous béants et abyssaux. Comparer le jour et la nuit ne suffit même plus à situer le contraste flagrant séparant les deux œuvres. Sans doute faut-il même respecter des paliers de décompression d'ici à ce que l'on décide de poursuivre une lecture de Kuroko's Basket par un volume de Slam Dunk afin de n'en retirer aucune lésion. Un saut qualitatif aussi soudain, on peut y rester.


Car lorsqu'il est question d'un personnage principal démesurément doué dès lors où on lui met un ballon orange en mains, nous sommes de plain-pied dans le Nekketsu. Conséquemment, on s'embourbe. À quoi bon lire une histoire où le héros n'a rien à prouver puisqu'il compte déjà parmi les meilleurs ? Il est au-dessus de tout (ironique pour un arrière-meneur), rien ne l'atteint, pas même son charisme. Ses airs de tête à claque faussement impénétrable m'auront suggéré les souvenir de ma lecture de One Punch Man, rien qu'il ne faisait bon de me remettre en mémoire.


Le poids d'une lecture passée de Slam Dunk pèsera lourd sur le regard d'un lecteur qui ne pourra qu'être blasé et atterré face aux actions de jeu présentées ici. Sans être en-dessous de tout, les matchs n'aspirent certainement pas à la transcendance et, tant limités au niveau de la mise en scène que du dessin, ne sauront jamais stimuler autre chose que nos maxillaires le temps de bâiller. Rien n'a de mordant et malgré les actions erratiques de joueurs, l'intensité de jeu ne nous parvient que difficilement.
Quand le premier match se clôture en deux chapitres et que le deuxième fait de même alors on commence à percevoir plus précisément le degré d'investissement dont sera capable l'auteur envers son œuvre. Il aura renoncé avant même d'essayer et nous l'aura bien fait sentir dès le départ. En dehors de la Génération des Miracles, pas de salut.


Bien entendu, nous n'aurons aucun sentiment que qui que ce soit progresse jamais puisque les personnages principaux sont d'emblée les meilleurs, ce qui, je dois l'admettre, est bien pratique. Repoussoir au possible pour un lectorat avisé, mais pratique pour un auteur qui aura juste à se complaire dans l'immuabilité d'un manga qui s'enlise malgré tout dans un marécage qu'il aura paysagé sur mesure ; celle de l'insignifiance patente d'une œuvre bien vite oubliée et qui n'avait de toute manière pas vocation à rester dans les esprits.


Le schéma narratif ne brille pas de mille éclats sous le feu de son inventivité. Encore moins quand on le répète indéfiniment :



  • Étape 1 : Un futur adversaire arrogant et appartenant vraisemblablement à la Génération des Miracles arrive pour provoquer Seirin en faisant forte impression.

  • Étape 2 : L'adversaire arrogant ainsi que son équipe se prennent une peignée sur le terrain

  • Étape 3 : Il s'avère que futur adversaire (devenu depuis l'adversaire passé) était en fait un brave gars derrière ses faux airs de loubard et on copine alors avec lui non sans lui rappeler la dérouillée qu'il s'est prise.


Pour ceux qui n'auraient pas suivi jusque là, je le répète afin qu'ils ne puissent prétendre être pris au dépourvu : c'est un Shônen avant d'être un manga sportif.
Bien entendu, Seirin a toujours une parfaite excuse quand ils perdent (faites un vœux quand ça arrive) et se repentent de leur défaite au cours d'une revanche qui ne tarde jamais à venir. Ce sont les gentils, ils ne peuvent pas simplement partir sans avoir le dernier mot, il y'a des conventions éditoriales qui le proscrivent aujourd'hui. Pas de Kainan chez Kuroko's Basket, tous plieront le genou face à Seirin, ainsi va la destinée d'antagonistes écrits à la hâte.


Je ne compte plus les matchs qui se remportent d'un point ou d'un panier seulement. On y aura eu droit jusqu'à Rakuzan. Sans doute serait-ce injuste de jeter cette fois la pierre à Tadatoshi quand, avant lui, Takehiko Inoue avait joué de la grosse ficelle à quatre reprises ; les autres matchs connaissant en général un écart de quatre points à peine. Et pourtant, cela s'accepte sans broncher quand c'est Slam Dunk car la mise en scène nous aura écorché les nerfs et éprouvé le système cardiaque à nous faite douter jusqu'au bout d'une victoire de Shohoku.
Or, on ne doute pas de l'avancée inéluctable de Seirin quand ceux-ci voguent paisiblement sur un long fleuve tranquille complaisamment mis à disposition par la narration. Kuroko's Basket, c'est reposant. Ça ne devrait pas l'être, mais ça se contente aisément de cet état de fait. Comment faire poindre la tension quand des collégiens - pas même des lycéens - n'ont plus rien à apprendre du basket et qu'ils ont ce qu'il faut sous le capot pour même faire s'agenouiller les Harlem Globe Trotters ?


La compétition évidemment remportée - nous n'aurions pu en douter - la fin est aussitôt expédiée. L'auteur aura fait se succéder bêtement les matchs sans intensité comme d'autres enchaînaient les combats brouillons dans leurs œuvres d'ici à ce que le grand méchant ne soit terrassé.
De Kuroko's Basket, je n'en attendais rien et ne retiendrai de ce fait aucun grief à l'intention de son auteur pour la promptitude de la conclusion ; un sparadrap, ça s'enlève d'un coup et la plaie que constitue le manga a maintenant cicatrisé ce qu'il faut pour justifier qu'on l'oublia immédiatement. On a plus vite fait de passer à autre chose maintenant que l'œuvre a guéri d'elle même en s'achevant. À autre chose qui ne saurait être que meilleur, c'est en tout cas à espérer.


PS : Quelqu'un a compté le nombre de fois où Midorima remet ses lunettes sur son nez ? On tient probablement un détenteur de record si quelqu'un se sent de l'homologuer.

Josselin-B
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le 29 juin 2020

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Josselin Bigaut

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