A travers L'Arleri, Edmond Baudoin propose une sorte d'autobiographie romancée et imaginée. Un vieux peintre, centenaire, parle avec son modèle, une magnifique jeune fille nue. Le peintre, c'est Baudoin, Baudoin qui se fait plus vieux qu'il n'est afin de tuer tous ses désirs sexuels et de parler de l'amour de manière pure et parfaite, honnête, sans mensonge. La jeune fille est un modèle, mais à travers ce modèle, c'est la nudité et la beauté du corps qui se dévoile.
Est-il nécessaire de préciser que le style de Baudoin, à mi-chemin entre le dessin et la peinture est parfaitement adapté à cet éloge de l'art et de l'amour.
Edmond Baudoin propose des réflexions subtiles et amusantes sur le rapport entre les hommes et les femmes. Sorte de psychanalyse inversée il part son autobiographie du principe que les hommes sont jaloux de la capacité de reproduction des femmes. Le fait de pouvoir donner la vie, de pouvoir transmettre sa vie est l'ultime cadeau de la nature aux femmes et les hommes ne peuvent que les envier et tenter de les humilier en échange.
La souffrance des femmes, des millénaires de dominations masculines sont ressentis par le narrateur qui met en avant à quel point il s'agit en réalité d'un jeu macabre, une tentative illusoire de s'aveugler et d'ignorer la réalité de la chose. Les femmes donnent la vie, les hommes les jalousent. Et de cette jalousie, l'homme voit naître tout son désir, son désir de l'autre qui devient désir de puissance. Illusion de puissance que le coït. Les réflexions très puissantes qui naissent de se récit sont aussi relativisées par ce même écrit où l'auteur souligne que la vie n'est qu'une suite de discours contradictoires.
La BD gagne en concret au fur et à mesure de la vie du héros qui s'intéresse aux situations concrètes qu'il a connu. Le désir, l'obsession, la jalousie, le sexe. Peut-on aimer plusieurs personnes à la fois ? Aimer, est-ce coucher ? Quelles sont les différences ? Peut-on se projeter et faire l'amour avec différentes personnes, et non pas que baiser ?
Baudoin ne sépare jamais sexualité et sentiments mais bien sentiments et désir d'un avenir commun. On ne peut s'empêcher d'être un peu triste pour ce personnage qui a bien du mal avec sa propre vie sentimentale et ne trouve un équilibre que dans l'absence d'une sécurité. Les passages les plus durs sont évités pour ne garder qu'une réflexion admirable qui s'offre au lecteur pour l'amener à penser davantage encore ces sujets là.
La BD est donc une énorme suite de pistes de réflexions, on notera notamment celle sur l'auteur vis-à-vis de sa propre œuvre. Baudoin dessine des femmes dans l'espoir de se dessiner femme, de le devenir. Mais il se dessine aussi vieux car il sait qu'il le sera obligatoirement.
Baudoin nous raconte également ses travaux pratiques qu'il donnait à des détenues en prison. Passage court mais émouvant.
Poignant et poétique, le récit est touchant. Il ne faut pas le prendre de manière passive mais vraiment le faire vivre en nous. Bien sur, il faut accepter, passivement, d'être touché par la poésie qui se dégage de l'Arleri, mais il faut aussi accepter toutes les réflexions que Baudoin nous offre, afin, que, ultimement, elles ne soient pas perdues dans les simples planches de cette très jolie bande-dessinnée.