Afred, le marginal-immigrant-illégal-voleur-majordome-maître-d'hôtel-corbeau-pingouin-aux-baskets
Armand Corbackobasket, un être malheureux, se transforme en oiseau de malheur portant des baskets, la dernière chose qui lui permet d'être en contact avec la "réalité", de se sentir "normal". Mais on le rejette justement parce qu'il tente de s'accrocher à son statut d'être humain. Il passe du statut de marginal à celui d'immigrant illégal, nuisible et voleur de travail : c'est l'aliénation, l'aliénation de soi puisqu'Armand s'est perdu et que cette perte passe par une transformation physique. On l'accepte pas, on la voit comme un stigmate, ce à quoi Fred fait même un clin d'oeil.
Le choix de l'absurde est à mon sens judicieux ici parce que cet angle fait ressortir encore plus la détresse, la solitude, mais en évitant de les rendre pathétiques. Le trait simple, gras, a aussi cet effet : l'expression d'Armand est transmise presque exclusivement par ses yeux (parfois aidés de son bec). Ça rend l'émotion sobrement, mais efficacement.
Le trait est aussi grossier. J'imagine que c'est pour souligner la grossièreté des personnages ou un certain fouillis, mais je crois que c'est aussi le style de Fred, qui s'aventure tout de même à esquisser des décors plus élaborés (dans le manoir, par exemple) ; la superposition des deux styles donnent une impression de collage, comme si les personnages étaient étrangers à ce monde-là (c'est au moins le cas pour le corbeau qu'on a le plaisir de suivre).
Aussi, le jeu de la forme est très intéressant. Ces planches découpés en cases indépendantes qui forment toutefois une fresque unie dans laquelle les personnages se déplacent comme si on les punaisait sur elle, le choix de faire de l'histoire d'Armand une affiche collée au mur de sa vie dont les bordures se retroussent quand il en perd le fil, tout ça est bien pensé.
Bref, bonne BD d'inspiration autobiographique, traitement original, dessins à l'appui. Je trouve juste dommage de pas avoir réagi aux tentatives d'absurde du monsieur, qui sont objectivement plutôt bonnes. Enfin, je suis peut-être pas sensible à son humour ou alors je suis parfois capable d'accepter l'absurde comme un truc normal, ce qui fait en sorte que je le reconnais sans toujours m'esclaffer. Ô triste esprit que le mien, que tu es cruel de me priver d'éclats de rire bonheurifiques. Ah, et il faut le dire, tout ça sent La métamorphose kafkaïenne à plein nez et c'est bien (mais je suppose que la BD peut rappeler plein d'autres récits.)