Ce tome fait suite à L'Onde Dolto 1/2 (2019) qu'il faut avoir lu avant car il s'agit d'un diptyque. Sa première édition date de 2020. Cette bande dessinée a été réalisée par Séverine Dolto pour le scénario, Alicia Jaraba pour les dessins et les couleurs, avec la participation de Catherine Dolto, la fille de Françoise.
Dans la Maison de la Radio, en septembre 1977, Catherine Dolto et Blanchette regardent le carton de courriers qui les attend et disent qu'elles vont en avoir pour un bon bout de temps pour répondre à tout. Jacques Pradel, le coanimateur de l'émission radiophonique passe leur dire bonjour. Il demande à Catherine si elle va continuer de jongler entre deux hôpitaux. Elle répond par l'affirmative, et qu'elle poursuit également sa thèse. Quelques jours après, elle va déjeuner chez parents, Françoise et Boris. Sa mère lui annonce qu'elle envisage sérieusement d'arrêter les consultations. La rançon du succès est trop lourde à porter. D'une part, les gens croient plutôt en elle qu'en la psychanalyse. Ensuite, certains de ses patients ont tendance à vouloir appliquer les recettes entendues lors de son émission de radio plutôt que de faire un vrai travail de psychanalyse. Le soir, toute la famille Dolto est réunie pour un repas. Catherine et Jean se moquent gentiment de leur mère en la qualifiant de Grand Bouddha Vivant. Puis lorsque Françoise parle de la dernière chanson de Carlos, ils entonnent le refrain de Rosalie en chœur. Quelques jours après, Françoise Dolto a pris sa décision : elle arrête les consultations car ses patients pensent qu'elle a les réponses toutes faites, plutôt que de les construire pendant la consultation. Elle l'annonce à sa fille. Puis elle regarde son agenda hebdomadaire.
Le temps est venu de l'enregistrement des émissions de la première semaine. Jacques Pradel se rend chez Françoise Dolto, accompagné par Marion, la nouvelle preneuse de son. Chemin faisant, il lui parle de sa fille. Ils s'installent dans le cabinet de consultation de la psychothérapeute, et Catherine arrive en coup de vent, remettant les fiches de la première émission aux deux animateurs. Elles abordent la question du dessin, et puis du feu, de l'eau. Dans la première lettre, une mère parle de son petit garçon de quinze mois. Elle a l'impression qu'il s'ennuie : il erre pouce dans la bouche. Il vient toujours lui demander de le prendre sur ses genoux. Elle souhaite être conseillée sur des jeux à faire avec un enfant de cet âge. Dolto répond qu'à quinze mois, les loisirs, ça se passe toujours en compagnie d'une autre personne. Ce bébé a besoin d'autres enfants. Si cette mère est très occupée, elle devrait trouver une nounou deux jours par semaine pour qu'il voie d'autres petits. Et puis qu'elle joue avec lui, une demi-heure par-ci, une demi-heure par-là, avec des cubes, à se courir après, à grimper, aux jeux d'eau. Surtout qu'elle lui parle, car c'est vrai, cet enfant s'ennuie.
Bien sûr, en entamant ce tome 2, il n'y a plus d'effet de surprise ou de découverte pour le lecteur puisqu'il a déjà lu l'histoire de la première année d'émission, et il sait qu'il n'y en a eu que deux saisons. Il s'attend donc à découvrir les thèmes abordés, et la vie qui continue pour les deux coanimateurs. C'est exactement ça. Au cours de ces 139 pages de bande dessinée, dix-neuf émissions de Lorsque l'enfant paraît sont évoquées, et autant de thèmes : l'ennui, la fascination pour le feu, la peur de l'eau, l'éveil artistique, la notion d'argent, les rapports sexuels à partir de 15 ans, des lettres de contestation de certaines auditrices, les mères célibataires, l'enfant tête en l'air, le harcèlement scolaire, le handicap mental, la sexualité, les troubles du sommeil, le chagrin d'amour, l'homosexualité, le bon âge pour une psychothérapie, les différences entre psychanalyste, psychiatre et psychothérapeute. S'il en doutait, le lecteur constate que les sujets abordés se renouvellent sans cesse, sans répétition. Les autrices mettent chaque émission en scène. Le lecteur peut voir Françoise Dolto parler calmement dans le micro, Jacques Pradel en face d'elle lui donner la réplique en posant une question, parfois la preneuse de son très attentive aux échanges. La dessinatrice a l'art et la manière pour représenter chacune et chacun avec naturel, que ce soit dans la posture, dans l'expression du visage, ou la tenue vestimentaire en cohérence avec l'âge et la position sociale de chacun. Comme dans le premier tome, il se dégage une sensation de bienveillance de chaque personnage, il n'y a que lorsque Dolto découvre dans la presse qu'on l'accuse de promouvoir le détournement de mineurs, que le lecteur peut la voir en colère, avec un visage fâché.
La mise en scène des émissions comprend donc les deux animateurs en train de parler, et le plus souvent une mise en situation du questionnement contenu dans le courrier choisi par Catherine et Blanchette. Le lecteur peut donc voir les mères en train de s'occuper de leur enfant, et les bambins en pleine forme, toujours bourrés d'énergie. Alicia Jaraba sait représenter des jeunes enfants en faisant apparaître les postures qui leur sont propres, et les expressions d'émotion encore très pures, pas du tout filtrées. Le lecteur éprouve la sensation d'observer de vrais enfants au naturel, et pas des adultes miniatures jouant la comédie. Elle accentue encore cette empathie avec les enfants, avec quelques représentations métaphoriques, comme un enfant volant d'un instrument de musique à l'autre, pour montrer les sensations qu'il éprouve. De temps à autre, elle use de licence artistique en exagérant la réaction d'un adulte pour donner à voir son désarroi ou sa détresse face à une situation, comme cette mère qui retrouve une plaquette de pilule dans le tiroir de la table de nuit de sa fille de 15 ans. Elle prend soin d'apporter une légère touche amusée, pour désarmer les situations les plus dures. Par exemple, elle dessine des dents pointues à un père qui traite son jeune garçon de petit pédéraste : cette approche n'atténue pas la méchanceté d'un tel comportement, mais elle permet au lecteur de prendre du recul et de réfléchir au comportement du père plutôt que de juste s'emporter contre lui.
À plusieurs reprises, les autrices montrent également la réaction des auditrices et des auditeurs. Ça commence dans un magasin de chaussures fermé jusqu'à 14h40 pour que les deux vendeuses et le vendeur puissent écouter l'émission. Le lecteur les voit en train de remettre de l'ordre dans les présentoirs, écouter, et échanger leurs réactions aux propos de la psychothérapeute. Ça continue avec une maman qui écoute la réponse donnée dans l'émission, tout en s'occupant de son fils : c’est-à-dire une forme de mise en situation en abîme, pas juste ce qui est écrit dans la lettre, mais comment la mère réagit à l'analyse de sa missive et aux conseils prodigués. Il peut aussi s'agir d'une mère s'énervant des commentaires de Dolto, d'un couple qui discute après coup de ce qu'elle a dit. Le lecteur ne ressent pas la suite des émissions comme un énoncé mécanique : à chaque nouvelle lettre, il voit les individus concernés, la situation se jouer sous yeux, la réaction aux conseils formulés. Chaque cas est incarné de manière concrète, sans qu'il ne soit porté de jugement, à une exception près qui est celle de l'homophobie.
Ce tome ne se limite pas non plus à une suite de cas pratique, car les autrices montrent quelques parties de la vie des animateurs, et de Catherine. Le lecteur peut ainsi voir un dîner de famille chez les Dolto avec une mise en scène chaleureuse et vivante. Il accompagne Françoise et Catherine à la maternité pour aller voir les jumelles du couple Pradel. Il assiste même à l'accouchement de Françoise pour la naissance de Catherine. Il ne se sent pas comme un voyeur, et il comprend que ces moments font sens dans un ouvrage évoquant la relation des parents à l'enfant. Au fil des séquences, il relève également quelques moments particuliers au cours desquels la pensée de la psychothérapeute est développée au-delà de l'émission. Il y a la place faite aux enfants handicapés : dans un dessin en gros plan, elle semble s'adresser directement au lecteur pour dire son regret des ségrégations qui font que les enfants handicapés sont placés dans des écoles différentes, et que le principe fondamental inculqué à l'école devrait être l'entraide, la communication entre enfants. Il relève également cette séquence où il voit Françoise Dolto désemparée après avoir lu cette accusation contre elle sur le détournement de mineurs. Enfin, en arrière-plan, il assiste à quelques moments clé qui vont conduire à la création de la première Maison Verte à Paris en 1979, par cinq psychanalystes et éducateurs (Pierre Benoit, Colette Langignon, Marie-Hélène Malandrin, Marie-Noëlle Rebois et Bernard This) et Françoise Dolto. Il se rend bien compte que ces moments servent à valoriser la psychothérapeute. Pour autant, ce n'est pas une hagiographie. Il comprend mieux leur raison d'être en lisant la postface rédigée par sa fille. Non seulement ces moments ont leur place naturelle dans cette biographie, car il s'agit toujours de parler des enfants, mais en plus il s'agit de dire l'évidence. Françoise Dolto a consacré sa vie à améliorer la situation des enfants, à les faire reconnaitre en tant que personnes : l'accuser du contraire est un mensonge calomnieux honteux.
Ayant découvert la première année de l'émission radiophonique Lorsque l'enfant parait, le lecteur revient tout naturellement pour découvrir la deuxième, et les thèmes abordés. Il reste sous le charme de ces dessins gentils sans être mièvres, montrant les individus avec bienveillance, sans porter de jugement, très exactement le regard même que Françoise Dolto porte sur les autres. Il est intéressé par chacun des sujets abordés, et cette introduction en douceur aux idées de la psychothérapeute. Il comprend rapidement qu'elle n'a nul besoin de réhabilitation au vu des accusations idiotes dirigées contre elle. Les autrices ont atteint leur objectif de rendre compte de cette émission radiophonique à nulle autre pareil. Elles terminent en évoquant les conditions de son brusque arrêt, et la concrétisation du projet suivant de cette dame hors du commun : l'ouverture de la première Maison Verte.