Il s'agit d'une bande dessinée de 56 pages, en couleurs. Elle est initialement parue en 2017, écrite par Christian Delporte, dessinée et mise en couleurs par Terreur Graphique (Fred Lassagne). Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s'est fixé comme but d'explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s'agit donc d'une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.


Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle commence par un avant-propos de David Vandermeulen de 6 pages. Il commence par évoquer l'échec du discours, en ce sens que les mots prononcés servent à habiller des actions qui n'ont pas abouti ou qui ne se font pas, c’est-à-dire un programme politique d'amélioration de la société irréalisable. Ayant ainsi donné le ton, il évoque le parti pris de Michel Eyquem de Montaigne (1533-1592) d'écrire en français en délaissant le latin, la langue sérieuse. Son avant-propos va l'amener à évoquer successivement Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), Hugo von Hofmannsthal (1874-1929), Karl Kraus (1874-1936), Viktor Klemperer (1881-1960), George Orwell (1903-1950) et la novlangue, comme autant d'individus s'étant défiés des possibilités d'abuser du langage pour travestir la réalité, certains ayant même utilisé ces possibilités pour leur propre production écrite, tous en ayant analysés une dimension.


La bande dessinée commence avec l'ouverture d'une agence à Springfield aux États-Unis, en 1956, d'un genre nouveau, pour un métier inédit. Jospeh Napolitan (1929-2013) vient d'inventer le métier de conseil en communication politique, Political Consultant comme il est indiqué sur sa porte. Il mettra à profit ses services à l'occasion d'une centaine de campagnes électorales dont celles de John Fitzgerald Kennedy, et même celle de Valéry Giscard d'Estaing. La bande dessinée revient alors en 1932, le Parti Démocrate faisant appel pour la première fois à une agence de communication. Il évoque ensuite les travaux d'Ernest Dichter (1907-1991) un psychologue et un expert en marketing, et la façon dont ses théories ont été transposées au domaine politique. À partir de là le récit établit le constat du nombre et de la variété de métiers d'une équipe de campagne électorale : d'abord les organisateurs (conseils en relations publiques, collecteurs de fonds, agents publicitaires), ensuite des collecteurs et analystes d'information (sondeurs, statisticiens, psycho-sociologues, informaticiens, politologues, démographes, chercheurs en marketing), enfin des spécialistes des médias (journalistes, rédacteurs de discours, conseils en médias, spécialistes du mailing, producteurs et réalisateurs de films, acheteurs de places, graphistes). Pour compléter ce dispositif, vient l'outil indispensable qu'est le sondage qui connaît son essor grâce à George Gallup (1901-1984).


À la fin de l'ouvrage, le lecteur se dit qu'il s'agissait d'une lecture vraiment facile, pas si technique que ça, baignant dans une ambiance agréable et détendue, avec des pointes d'humour rigolotes, sans être dans un registre systématiquement moqueur ou dépréciateur des hommes politiques passés en revue. Terreur Graphique est un professionnel aguerri de la bande dessinée, auteur entre autres de Ces gens-là (2017), Lorsque j'ai un peu trop picolé la veille... (2016), Rupture tranquille (2011). Il réalise les détourages de forme d'un trait rapide qui donne une impression de spontanéité du fait qu'il est un peu tremblant, d'une épaisseur un irrégulière, avec quelques petits traits rapides pour marquer la texture, les plis des étoffes, ou encore les traits des visages. Cela aboutit à des dessins qui donnent à la fois l'impression d'une bonne densité d'informations visuelles, tout en gardant une lisibilité immédiate et facile.


Cette impression visuelle donne un sentiment de facilité et de désinvolture. Pourtant le lecteur s'aperçoit rapidement que derrière cette apparence simple, il y a un savoir-faire impressionnant. Pour commencer tous les personnages politiques sont immédiatement reconnaissables qu'il s'agisse de François Fillon, Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen, François Bayrou, ou encore Alain Juppé (cet ouvrage date de début 2017), ou d'hommes politiques historiques ou étrangers comme John Fitzgerald Kennedy, Barack Obama ou encore Tony Blair, Donald Trump, Vladimir Poutine. En outre, le lecteur reconnaît immédiatement les références culturelles, par exemple les couvertures de magazines hebdomadaires comme Paris Match. L'artiste ne se contente pas d'en reproduire rapidement le logo, il en copie aussi la mise en forme et en parodie les gros titres (très savoureux, soit dit passant). Il y a également d'autres références culturelles, par exemple à des acteurs (John Wayne) ou des animateurs télé (Michel Drucker, Thierry Ardisson).


Très rapidement également, le lecteur observe que Christian Delporte ne s'est pas contenté d'écrire un texte qui a ensuite été confié à un dessinateur, et bonne chance à lui pour le rendre visuel. Il est visible que les 2 auteurs ont collaboré pour réaliser une bande dessinée visuelle, où les images apportent des informations complémentaires au texte, et dans laquelle le texte peut s'appuyer sur ce qui est montré, sans avoir à le redire, sans donner l'impression de suivre son propre développement en semblant ignorer la composante visuelle. Ce niveau d'interaction fait de cet ouvrage une véritable bande dessinée et pas simplement un texte illustré à postériori. Qui plus est, la variété des situations atteste que la narration a été pensée dans son ensemble. Du coup le lecteur se retrouve face à des images aussi variées qu'inattendues, allant d'une ménagère remplissant son frigidaire, à de jeunes adultes affalés dans un canapé en jouant à un jeu vidéo, en passant par un individu conduisant son tracteur, ou encore une comparaison avant/après intervention d'un communicant pour Dilma Rousseff (1947-).


La légitimité de Christian Delporte à écrire un tel ouvrage saute aux yeux en consultant sa bibliographie, avec des ouvrages comme Une histoire de la séduction en politique (2013), Les grands débats politiques : Ces émissions qui ont fait l'opinion (2012), Une histoire de la langue de bois (2011). Il s'agit ici, bien sûr, d'un ouvrage de vulgarisation et pas d'une étude universitaire sociologique ou économique sur la communication politique. D'ailleurs le lecteur se dit que cet ouvrage ne fait finalement que présenter des faits et des idées qui relèvent du bon sens. Mais il lui suffit, une fois sa lecture terminée de rouvrir la bande dessinée à n'importe quelle page, pour (1) sourire devant le ton enjoué des dessins, (2) se rendre compte de la densité de fond du propos. La première qualité de cette présentation est donc sa forme très ludique et agréable, évacuant toute impression de lire un cours magistral, ou un réquisitoire à charge. La deuxième qualité réside dans le fait que les auteurs n'ont pas pris le parti du Tous pourris. Il n'y a pas de jugement de valeur explicite sur les individus faisant carrière d'homme politique, ni sur leur programme ou leurs convictions, et presque pas sur la nécessité d'une communication politique.


Christian Delporte a construit sa présentation à partir d'un point de départ systémique. La réalité est que sans professionnels de la communication (sans une petite armée des communicants), l'homme politique ne peut pas acquérir d'existence à l'échelle nationale. Ce n'est pas une critique, c'est un constat. Ensuite, l'auteur expose les mécanismes de la communication politique, au travers d'exemples divers et variés, d'un point de vue métier. Il établit ainsi que d'un point de vue systémique que l'homme politique souhaitant faire une carrière politique et gagner des élections doit passer sous les fourches caudines de la communication politique, au sens métier du terme. C'est soit ça, soit pas de carrière. L'ouvrage passe alors en revue les différentes composantes et les différents aspects d'une communication politique : les différents métiers qui y sont associés (des organisateurs aux différentes spécialistes des médias), les sondages, les slogans, le storytelling, l'art de la petite phrase, le relooking, l'occupation des médias, le langage corporel et l'art de désigner du doigt, la présence sur les réseaux sociaux, etc.


L'auteur utilise plusieurs hommes politiques de premier plan pour illustrer chacun de ses points : le slogan La force tranquille passant de Valéry Giscard d'Estaing à François Mitterrand (le courant politique n'ayant pas d'incidence sur son efficacité), Silvio Berlusconi construisant une histoire forçant l'empathie de manière presque magique, Tony Blair occupant les médias en fabriquant l'événement à un rythme épuisant et en leur donnant le rôle de coproducteur de son récit, Vladimir Poutine incarnant l'autorité et l'efficacité, Nicolas Sarkozy séduisant les journalistes pour mieux influencer leurs papiers. Il évoque également l'art consommé avec lequel les conseillers de Barack Obama ont su lui construire une image, ou encore la manière dont le relooking de Dilma Rousseff l'a transformé d'une personne compétente à une candidate en bonne et due forme.


Le lecteur découvre avec plaisir chaque nouvelle tactique, et chaque nouvel artifice, dans une présentation vivante, non dénuée d'humour et convaincante. Ce n'est pas tant qu'il découvre ces méthodes et ces procédés, c'est que les auteurs les rappellent avec verve et clarté. C'est d'ailleurs l'objectif d'un ouvrage de vulgarisation qui permet au lecteur de découvrir un sujet, mais qui n'a pas pour objet de l'approfondir. Néanmoins à la fin de l'ouvrage, le lecteur a conscience que la variété des exemples aboutit à un panorama complet qui évite l'écueil de la prise de position politique. Le lecteur en a donc pour son argent. Même celui qui s'est déjà intéressé au sujet bénéficie d'un passage en revue de plusieurs décennies (pas toujours chronologique, par exemple la gestion de la paucité des interventions du président Mitterrand est exposée hors chronologie) qui dresse une image assez complète des différentes facettes de cette communication.


S'il n'y a pas de parti pris politique, le lecteur constate une tendance lourde de parti pris sur la fonction de cette communication. Elle ne sert qu'à faire exister l'homme politique, en le rendant le plus agréable possible, indépendamment de ses qualités et de ses autres compétences. Christian Delporte montre bien comment le temps des orateurs est passé, et que la communication politique a pour objet de gommer les traits les plus clivants de chaque candidat. Il y a donc une forme de moquerie sous-jacente, à voir ainsi une communication qui a pour objectif de transformer l'homme politique ou le candidat en produit de consommation. Mais ce jugement de valeur est mis en perspective par un petit rappel d'une évidence : les politiques sont l'expression des sociétés dans lesquelles ils vivent.


Ce tome 14 de la petite bédéthèque des savoirs est une grande réussite qui atteint son objectif de vulgarisation, avec une vraie bande dessinée, drôle, instructive, concrète avec des exemples parlants, sans oublier d'exposer les principes de cette communication dans leur contexte.

Presence
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le 13 mars 2019

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