Militantisme intelligent

Le titre de ce second tome, la lutte, porte magnifiquement bien son nom. Si on devait définir Infinite Loop, ce serait bien moins un comics sur l'amour qu'un comics sur le militantisme intelligent.
Alors que Teddy doit s'unir à ses versions alternatives du différent Multivers pour retrouver Ano dans une prison d'anomalies et pouvoir vivre avec et heureuse, la brigade temporelle (comment ça, c'est pas ici?) vont essayer de la supprimer. Le problème c'est que le pire ennemi de Teddy, ce ne sont pas les autres, mais bien elle-même.

Ce second tome ne fait pas tant la part belle à l'aventure qu'à la réflexion. Comme promis à la fin du premier tome, on est dans le questionnement sur le militantisme. Elargissant le combat et dépassant le cadre de la simple homosexualité à celui des droits des noirs, des femmes et des transgenres, Infinite Loop se veut une réflexion agréable sans pure réponse. Comment lutter ? Jusqu'au bout Teddy en fait à sa tête, elle agit en solo, ne comprenant pas que c'est dans l'union que se trouve la force.
Il y a également la question des symboles. Est-ce que Martin Luther King aurait tant changé le monde s'il était demeuré vivant ? Pas sur du tout … Il faut des sacrifices pour que le monde évolue.
Dans la même lignée, on a la question des « autres ». Est-ce qu'un hétéro peut se sacrifier pour un homo ? Un blanc pour un noir ? Un homme pour une femme ? Cette question, essentielle, est traitée sous le regard de la haine, du mépris. Teddy (dans plusieurs versions) ne pense pas que les autres puissent la comprendre, car ils n'aiment pas d'anomalies comme elle(s). Et c'est là, la belle leçon, l'hésitation n'est jamais présentée chez les autres. Peut-être y en a-t-il ? La question n'est pas là, le but de Pierrick Colinet n'est pas de dire « soyez humains, pensez à ceux qui sont un peu différents », mais non, le message est d'une intelligence aussi forte que rare. « Si vous voulez que les autres ne vous rangent pas dans une case, ne le faites pas vous-même ». Très intelligent. Bien sur, l'intolérance est là, bien sur la haine est là. Mais ce que fait Pierrick et, là dessus il faut le féliciter mille fois, c'est d'essayer, à plusieurs moments, de montrer que le problème d'une lutte est qu'on risque de se définir soi-même par son stigmate et oubliez tous qu'on tachait d'être dans une unification totale au début. A ce sujet, j'invite à lire les travaux du sociologue Goffman.

Les boucles temporels et les jeux dessus sont réalisés intelligemment et de manière assez amusante. C'est un bordel rare qui est assez gros pour qu'on ne cherche jamais à le démêler entièrement. Cela permet de saisir à quel point le message prend le pas sur l'histoire.
On aurait, cela dit, aimer des personnages secondaires plus complexes (Ulysse au hasard). On regrettera aussi le non-traitement de la question de la nécessité de la sexualité dans un couple. Ano refuse de voir Teddy sans la toucher là où cette dernière semble accepter. Si c'est avant tout une marque de conviction, je pense qu'on peut aussi y voir une question plus importante sur la place du corps dans la définition d'une relation.

Infinite Loop surprend car bien moins qu'une histoire sur le temps et l'homosexualité c'est bien un traité sur la tolérance et le militantisme qui s'offre à nous. Traité illustré à merveille par Elsa Charretier. Dommage que le tome 1 soit une pure introduction rapide (comme je l'avais dit dans ma critique) mais ce tome 2 me réconcilie totalement avec la série.