Ce tome est le troisième d’une tétralogie indépendante de toute autre. Il fait suite à La survivante T02 L’héritier (1987). Sa première édition date de 1988. Il a entièrement été réalisé par Paul Gillon (1926-2011), pour le scénario, les dessins et la mise en couleurs. Il compte quarante-six pages de bande dessinée. La série a bénéficié d’une réédition en intégrale : La Survivante - Intégrale en 2008.
Une navette spatiale décolle d’une base de lancement, dans la nuit. Elle s’élance dans le ciel dans un torrent de feu craché par ses deux propulseurs. Elle finit par larguer son réservoir. À son bord, Jonas et Aude Albrespy regardent droit devant eux, ayant chacun revêtu une combinaison spatiale. Ayant quitté l’atmosphère, ils voient devant eux une station spatiale en orbite. La mère s’inquiète estimant que c’est de la folie ; son fils lui assure que c’est la seule solution. Il continue : la folie serait de rester à la merci des cybers. Il craint que ses actions n’aient engendré un fatal mécanisme de rejet. Il estime qu’ils n’étaient qu’un sujet d’expérience, et que maintenant que cette expérience a échoué ils sont bons pour le rebut, pour l’extermination. Il leur faut prendre du recul, prendre le temps de réfléchir. La station orbitale Eurospace est une zone de repli idéale. Tout y est conçu pour survivre des années à l’abri de tout… De presque tout. Alors qu’ils approchent de plus en plus, il explique qu’il va entamer le processus d’arrimage de la navette. À la question de sa mère, il répond que tous ses tests avec le simulateur de vol spatial ont été positifs. En cours de manœuvre, il prend conscience que son approche est trop rapide, il enjoint sa mère de se préparer au choc. La navette percute doucement la station et les dégâts sont mineurs. La pompe hydraulique du système multidirectionnel RCS est endommagée : ils sont satellisés sur une orbite parallèle à la station définitivement, c’est fini.
À leur grande surprise, un bras manipulateur de la station commence à bouger : c’est sûr, la station est habitée ! La navette est ainsi guidée de manière être arrimée jusqu’au verrouillage du sas. Un homme torse nu se présente une fois le sas ouvert, dans une station en apesanteur. Il s’exclame : un gamin et une gonzesse ! Il s’adresse à Jonas en le félicitant pour lui dire qu’il s’est débrouillé comme un chef. Il se présente : il s’appelle Douglas et c’est lui qui a pris la décision de les récupérer… contre la volonté des autres. Aude n’en croit pas ses oreilles : combien d’autres ? Douglas répond : il y a l’honorable docteur Rhea Ryder, le sémillant et génial géophysicien Théo Aretos et le commandant Horst Pollacq, le prestigieux héros de la première mission sur Phœbos et Delos. Il ajoute : du beau monde, très exaltant, tout en les exhortant à s’attendre au pire. Ils avancent dans les couloirs de la station et arrivent devant les trois autres, Pollacq flottant inconscient parce que Douglas a dû l’assommer pour pouvoir ouvrir le sas.
Avec le deuxième tome, la survivante n’était plus seule, mais quand il y repense, c’était déjà le cas dans le premier tome. L’auteur joue avec la notion de survie, n’ayant jamais dit que sa protagoniste est la seule survivante. Aude Albrespy et son fils Jonas ont décidé de quitter la Terre après une confrontation contre un robot ayant développé des idées bien arrêtées sur le devenir des deux derniers représentants de l’humanité. Alors qu’ils rejoignent une station spatiale en orbite, ils découvrent d’autres survivants, quatre spationautes, s’exprimant tous en français. Confinés dans un espace clos depuis plusieurs années, Jonas ayant maintenant une dizaine d’années, ils se sont adaptés à leur situation, développant une dynamique de groupe particulière, avec une forme d’amour libre consenti, et une fuite émotionnelle pour le commandant qui récite de la poésie à chaque moment émotionnellement chargé. Par la force des choses, l’arrivée de deux nouveaux individus dans ce très petit groupe en modifie ladite dynamique, et agit comme un révélateur des dérives étant devenues normales. Les contacts s’avèrent limités, le groupe de quatre s’arrangeant pour conserver les bénéfices de leur mode de fonctionnement particulier, par exemple une forme d’amour libre, convenant à Rhea qui fait preuve d’un grand appétit en la matière.
Dans le même temps, l’auteur poursuit son récit de science-fiction. Le fils et la mère réalisent un voyage dans l’espace à bord d’une navette spatiale classique, munie d’un énorme réservoir externe et deux propulseurs d'appoint. La station spatiale est munie de nombreux tableaux de bord avec cadrans, boutons, touches lumineuses et autres consoles. Les corps y flottent en apesanteur. Le lecteur trouve les visuels attendus : le décollage dans un nuage de fumées, le largage des propulseurs et du réservoir, la station orbitale comme suspendue au-dessus de la Terre, la sortie dans l’espace pour aller effectuer des réparations, avec seulement une fragile ligne de vie pour s’arrimer, les combinaisons spatiales avec leur grande visière réfléchissante, des visions partielles du globe terrestre, un atterrissage de retour à haut risque. L’artiste montre ces éléments de manière pragmatique, sans embellissement romantique, sans couleurs resplendissantes. Il reste ainsi dans le ton réaliste des tomes précédents, accentuant la solitude des êtres humains, leur fragilité dans le vide de l’espace, un élément qui n’est pas le leur, qui n’est pas propice à l’épanouissement de la vie humaine. Dans le même temps, l’auteur passe sous silence les problématiques liées à l’usure, à l’absence d’entretien et de maintenance faute d’êtres humains pour les assurer, aux conséquences de l’entropie. Il évoque rapidement la réserve de nourriture qui va en s’amenuisant dans la station spatiale. En revanche, il n’évoque pas l’effet de perte de masse et de tonus musculaire qui accompagne la vie en apesanteur. Il ne rend pas compte de la nature inhospitalière du désert australien, et des dangers de sa faune.
Pris par surprise devant l’ouverture qu’apporte le voyage dans l’espace, le lecteur n’en apprécie pas moins la qualité de la narration visuelle. Les dessins conservent leur apparence un peu sèche, avec des traits de contour pouvant être très fins et cassants, des dessins descriptifs, détaillés, souvent factuels. Dans le même temps, il ressent une forme de noirceur dans le récit, et il peut voir que l’artiste joue habilement des aplats de noir pour donner plus de poids à certaines images, pour leur conférer une sensation plus sombre. Le vide de l’espace bien sûr car il n’apparaît que de rares minuscules points blancs pour les rares étoiles qui semblent d’autant plus éloignées de la Terre, mais également entre elles. Et dans certaines cases, le vide de l’espace est uniformément noir, d’un noir profond. Dans les séquences en extérieur, les ombres dans l’espace apparaissent également très denses. Sur Terre, des aplats de noir aux formes déchiquetées alourdissent et assombrissent des parties de l’environnement, comme des rochers, la masse de l’océan, une partie des silhouettes comme celle d’un navire ou d’un être humain. De prime abord, la mise en couleurs ressort comme naturaliste : le rouge-orangé de la fournaise des propulseurs, le bleu et le vert des masses terrestres vues de l’espace, le blanc-gris des combinaisons spatiales. Discrètement, l’artiste joue sur de légers décalages de teinte pour colorer émotionnellement une séquence : un éclairage plus déprimant dans la station spatiale, un horizon assombri sur Terre, l’eau de l’océan terne sans reflet du soleil.
Le lecteur regarde également le comportement des personnages, en fonction des propos qu’ils tiennent. Il voit la tension dans leur visage, dans leur geste. Il voit la passion qui couve, parfois juste le désir physique qui transparaît. Comme dans les deux premiers tomes, l’activité sexuelle se manifeste régulièrement : tout d’abord avec Rhea Ryder qui se balade en culotte et soutien-gorge (et avec des chaussettes montant jusqu’à mi-cuisse), puis elle se jette sur Théo Aretos. Par la suite, Jonas et Douglas reviennent de leurs réparations en extérieur, pour retrouver Rhea, Théo et Horst en train de batifoler nus en apesanteur, ce dernier manifestant une belle érection. De retour sur Terre, l’ensemble se baigne nu dans une pièce d’eau en plein désert, et il s’en suit une relation sexuelle entre deux d’entre eux, un peu à l’abri des regards. L’artiste représente la nudité de manière factuelle, ainsi que les accouplements, sans sensibilité érotique, sans gros plan pornographique. Il s’agit d’une activité qui donnent aux individus concernés la sensation d’être vivant, un besoin primal, avec parfois peut-être une forme de plaisir.
Tout en ayant bien assimilé qu’Aude Albrespy n’est pas la dernière survivante, qu’elle survit à l’effondrement de la civilisation, le lecteur peut ressentir une forme de facilité dans le sort des spationautes. Toutefois, il se rend également compte que cela participe d’une intrigue de plus grande ampleur, qui n’était pas perceptible à la lecture des deux premiers tomes. Finalement, la question de la survie d’Aude Albrespy (et sûrement de son fils) se pose face à un autre danger qui était bien là dès le premier tome. Le lecteur retrouve également un autre spécimen de l’étrange créature aquatique apparue dans le tome deux (capable de vivre aussi bien dans l’eau douce polluée de la Seine, que dans l’eau salée de l’océan Pacifique), et il commence à développer des soupçons quant à sa nature, au vu de son effet sur le personnage principal.
Après les deux premiers tomes, le lecteur ne s’attendait pas à ce que son intérêt soit à ce point éveillé par l’intrigue générale qui se dessine au cours de ce troisième tome. Il retrouve avec plaisir la narration visuelle limpide et sèche, factuelle et presque clinique vis-à-vis des personnages. Il cerne de plus en plus à quoi Aude Albrespy doit survivre, la complexité et la cruauté de sa situation.