Ce tome est le premier de la série, il contient les épisodes 1 à 4 parus en 1993 qui forment une histoire complète.


Tout commence par un rêve dans lequel apparaît la silhouette d'une femme en tenue de deuil avec voilette, puis un soldat de la première guerre mondiale avec masque à gaz, et enfin une toile d'araignée avec des cadavres de femmes. Wesley Dodds se réveille. Ailleurs Dian Belmont (25 ans) force la main à son père (le procureur du district de New York) pour sortir dans une boîte de jazz avec ses copines. À l'issue de la soirée, l'une d'entre elles est enlevée par une personne qui se fait appeler la Tarentule. Cette histoire se déroule en 1938. Albert Goldman a profité de l'époque de la prohibition et garde de bons contacts avec ses anciens associés. Wesley Dodds a hérité de la fortune laissée par son père. Sous son identité de Sandman, Dodds enquête en consultant les archives de lieux où il entre par effraction, et en questionnant des suspects soumis à l'action du gaz qu'il utilise.


Au départ, il s'agit d'une idée éditoriale mercantile pour savoir comment étendre la franchise Sandman rendue très lucrative par les récits de Neil Gaiman sur Morpheus (à commencer par Sandman tome 1). À l'arrivée, une vague silhouette portant le casque de Morpheus apparaît fugitivement le temps d'une case de la première page et ce sera tout pour ce tome. Les relations entre les 2 Sandman seront clarifiées dans Sandman Midnight Theatre (VO, paru en 1995). Wesley Dodds est hanté par des rêves plus ou moins prémonitoires. Et c'est tout pour les liens entre les 2 séries.


Donc inutile de venir chercher une dose supplémentaire du Sandman de Neil Gaiman dans cette série, il n'y en a pas. Matt Wagner s'empare d'un vieux superhéros de l'âge d'or de DC Comics pour replonger dans l'ambiance des pulps, mais avec un réalisme accru. Le lecteur retrouve bien l'archétype du millionnaire oisif, avec majordome et belle demeure. Il retrouve également un thème plus récent qui est que les promenades nocturnes relèvent plus d'une contrainte, d'une fatalité, que d'un plaisir. Wesley Dodds cache bien son identité lors de ses activités nocturnes, mais uniquement avec un masque à gaz (justifié par le fait que son arme principale repose sur un gaz particulier), et il porte des habits de ville traditionnels, pas de costume moulant aux couleurs agressives.


Wesley Dodds bénéficie donc d'une aisance financière qui lui permet d'avoir du temps libre et de quoi financer ses 2 gadgets : un gaz aux propriétés hypnotiques et soporifiques, et une voiture dédiée à ses escapades nocturnes. Matt Wagner s'attache à rendre le plus crédible possible les activités officieuses de son héros. Sa position de nanti lui permet de croiser les gens influents à New York. Wagner reprend donc l'archétype du grand bourgeois à l'abri des soucis matériels, et introduit des modifications en montrant que Wesley Dodds est habité par sa mission du fait de rêves qu'il en peut pas contrôler, tout en étant un individu très réservé. C'est sa conscience et sa sensibilité aux actes de barbarie qui le contraignent à agir.


Pour ce qui est de l'intrigue proprement dite, Matt Wagner baigne dans son élément. L'année 1938 n'a pas été choisie au hasard, et Wagner insère des références culturelles et politiques régulièrement. Il a l'art et la manière d'immerger le lecteur dans des scènes banales révélatrices (un inspecteur expliquant à un autre au comptoir, qu'il a rompu les relations avec sa soeur parce qu'elle a épousé un noir). Il a concocté une intrigue qui entremêle les actes de barbarie (tortures et sévices sur des femmes) d'un détraqué sadique, avec des enjeux économiques issus de l'abolition de la prohibition en 1935.


Enfin, le caractère de Wesley Dodds et de Dian Belmont imprime une coloration particulière au récit. Wesley s'adonne à l'origami et à la poésie, et Dian veut contribuer à la société, autrement que par le sort de bonne épouse qui lui est réservé à cette époque, compte tenu de sa classe sociale. Les illustrations contribuent également fortement à installer une ambiance spécifique. Guy Davis est alors un débutant et son style déjà très particulier n'a pas encore l'aspect immédiat qu'il prendra dans la série consacrée au Bureau of Paranormal Research and Defense (il est possible de commencer avec Le Fléau des grenouilles). Ses pages présentent une forte densité de cases : 8 en moyenne par page. Chaque personnage dispose d'un visage remarquable, généralement bien en chair, éloigné des canons actuels de la beauté émaciée. Chaque page prouve qu'il a effectué de sérieuses recherches sur l'architecture de l'époque, les tenues vestimentaires et les modèles de voiture. Dans sa façon de représenter les visages, il ne cherche pas le beau, mais chaque expression est parlante, sans être exagérée. Au premier regard, le lecteur a l'impression que ses cases sont un peu chargées en nombre de traits. Il préfère utiliser des entrelacs de traits fins pour figurer les ombres, plutôt que des aplats. Il faut donc un peu de temps pour s'habituer à cette esthétique différente, avant de pouvoir apprécier la richesse des illustrations et leur efficacité. Il faut également un peu de temps pour accepter le parti pris de David Hornung, le metteur en couleurs qui a un sens bien à lui de la couleur.


Matt Wagner développe un personnage peu utilisé dans l'univers DC, ayant un lointain rapport avec Morpheus, pour écrire une histoire bien noire dans le New York de 1938. Wagner et Davis se détachent complètement du monde des superhéros pour revenir à leurs sources, mais sans tomber dans le stéréotype de la justice expéditive (il est impossible de confondre Sandman avec le Shadow). Les 2 histoires suivantes sont regroupées dans The Face And The Brute (épisodes 5 à 12, en anglais). Le tome 2 en français La vamp contient les épisodes 13 à 16.

Presence
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 17 févr. 2020

Critique lue 65 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 65 fois

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime