Il fume comme un pompier, boit comme un trou, arpente la vie d'une démarche nonchalante avec son imper et son cynisme désabusé, n'hésitant cependant pas à sortir son revolver dès que la situation l'exige. Sorte d'hybride improbable entre Philip Marlowe, l'inspecteur Harry, et Colombo, il s'opposera à divers criminels comme l'infâme Raspoutine (un matou, évidemment !). Lui, c'est l'inspecteur Canardo. Pas la bestiole la plus connue du monde de la BD francophone, même s'il y gagnerait franchement.
Ici, l'inspecteur Canardo se fait un peu désirer et laisse la vedette à un héros bien plus improbable, Fernand. Bien plus timide que l'inspecteur mais visiblement tout aussi porté sur la bouteille, il veut retrouver Gilberte, son amour de toujours. Ses péripéties vont le mener à un caïd canidé du coin et à un scientifique pas tout à fait net...
Le Chien debout plonge le lecteur dans un univers étrange et un peu glauque peuplé de personnages anthropomorphes (des animaux qui se conduisent comme des humains, pour les plus allergiques au grec). Bien que ce tome soit le numéro un, c'est Premières enquêtes qui avait donné le ton de la série, en 1979. Bars miteux peuplés de types patibulaires, cocottes enjôleuses arborant boas et fume-cigarettes, enquêtes sous la pluie et la grisaille dans une atmosphère de dépression palpable : pas de doute, on est bien là en plein film noir, années 30-50 en force, et le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est très réussi.
Le dessin de Sokal, dans la plus pure tradition franco-belge, est à la fois simple et travaillé, servant à merveille l'univers qu'il souhaite représenter. Les dialogues, percutants, bourrés d'humour, volontiers crus et argotiques, sont aussi savoureux que les personnages. Ça parle vrai, ça parle cru, et sans tomber dans l'horreur, la BD n'hésite jamais à montrer des macchabées et du sang. Eh oui, m'sieurs-dames : on se salit les mains ici, on n'est pas dans Arabesque ! Cependant, pas d'inquiétude, le ton reste léger et c'est bien l'humour qui domine. En filigrane, les enquêtes de l'inspecteur Canardo offrent des considérations philosophiques, presque poétiques parfois. Le scénario, quant à lui, ne casse pas trois pattes, mais c'est pas pour ça qu'on lit l'inspecteur Canardo !
Pour la petite anecdote, j'avais dix ans quand on m'a offert cette BD ! La personne qui me l'a offerte savait-elle vraiment de quoi ça parlait ? Vu l'histoire, probablement pas ! Mais bon, je n'en ai absolument jamais été traumatisé (loin s'en faut), comme quoi, c'est à mettre entre toutes les mains !
Je ne pouvais pas écrire cette critique sans un petit mot d'hommage à Benoît Sokal, l'auteur, qui nous a quittés il n'y a pas si longtemps. Il n'aura pas autant marqué la mémoire du neuvième art que Hergé ou encore Goscinny, et pourtant, il n'avait absolument rien à leur envier question talent, étant non seulement bédétiste, mais aussi développeur de jeu vidéo avec L'Amerzone (eh oui !).
Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de partager la meilleure réplique de la BD, du toutou Fernand lui-même : « Quel est donc est le con qui a dit que le courageux avait peur avant, le lâche pendant et le téméraire après ? Moi, j’ai peur tout le temps ! En fait, je suis juste un couillon qui fonce ! »