Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Edward Berger sait poser une ambiance. Cadre intimiste, respirations lourdes... La pesanteur des magnifiques intérieurs de la cité papale se fait ressentir à chaque scène. Le début est plutôt bien amené, la première grosse heure de film esquissant des personnages qui semblent nuancés. Personne ne semble entièrement sympathique ou antipathique, et cela rend le suspense pertinent, car on sent bien que quelques intrigues sont en train de se nouer, durant ce conclave... Ambiance oblige, il ne faut pas s'attendre à un film mené à cent à l'heure, mais les révélations se distillent à un rythme suffisamment habile pour accrocher le spectateur. Le scénario parle d'un conclave, rappelons-le, a priori pas le thème le plus folichon de l'année, donc c'est quand même très bien joué de la part du réal.
Les acteurs, tous brillantissimes et investis dans leur rôle, contribuent beaucoup à tout ça. La seule petite chose en décalage avec le reste est la BO, un peu trop poussive, torp « horrifique » pour ce genre de film. En outre, Conclave a le mérite d'aborder des sujets très actuels dans l'Église : les scandales de l'institution, la place des femmes (c'est tout juste mentionné avec le rôle de sœur Agnès, il est vrai), la dichotomie entre pouvoir et sainteté, la difficulté pour des hommes forcément faillibles d'incarner la papauté...
La faiblesse de Conclave réside dans la dichotomie entre sa réalisation très soignée et ses enjeux. Dans une ambiance inquiétante, figures graves sur musique sombre, on nous présente ces petites luttes de pouvoir vaticanes comme si l'élection d'un pape traditionnaliste ou au contraire plutôt libéral allait changer la face de la Terre. Alors j’avoue, je ne suis pas catholique, j'ai un regard extérieur. Pour beaucoup, l'élection d'un pape est l'événement le plus important du siècle. Nous sommes néanmoins en 2024, et objectivement, l'influence de l'Église sur la marche du monde est relativement limitée, pour rester dans l'euphémisme. Malgré le talent déployé par Berger, j'avoue avoir eu du mal à considérer que les manigances de ces politiciens de la foi allaient être un tournant crucial pour notre destin à tous...
D'autant que les trente dernières minutes sont assez décevantes : alors qu'il avait jusqu'ici développé des personnages assez nuancés, Conclave retombe sur une bonne vieille opposition méchant réac'/gentil progressiste pour conclure rapido, avec le « secret » final du nouveau pape... Bon ok, le message, c'est qu'il incarne le mieux l'idéal christique, il s'accepte tel qu'il est : après tout, c’est l’essentiel. Mais bon... À une problématique politique (le terrorisme islamiste, dans le film), Benitez apporte une réponse théologique éthérée et assez surréaliste, qui laisse plein d'espoir sur l'avenir de la foi, mais beaucoup moins sur la sécurité des chrétiens à travers le monde... Le tout aurait mérité d'être vraiment retravaillé, car on pouvait faire passer le même message avec la même subtilité à laquelle Conclave nous avait habitués pendant une heure et demie. Un peu dommage.