Les incohérences s'accumulent dans le scénario : les personnages perdent leur identité, sur laquelle était fondé le récit au long des cinq premiers volumes. Leif n'est pas débile, il ne fait que simuler parce que ça l'arrange. Mais, né dans un monde viking, et n'ayant pas eu l'occasion de travailler l'accent français (vu qu'il est resté muet pendant quatre ans), on a du mal à nous faire avaler qu'il puisse être subitement dépouillé de tout accent germanique dès la planche 1. Par ailleurs, s'il simule la débilité pendant son séjour chez les moines, c'est évidemment pour résister à l'éducation chrétienne et latine que ceux-ci prétendent leur inculquer. Seulement voilà : il parle et chante très bien le latin, et sa morale pacifiste n'a rien qui peut témoigner d'un héritage viking, mais s'inspire visiblement de la même mentalité chrétienne que celle que manifestait Bartholomée. Du coup, il ressemble beaucoup à Bartholomée, ce qui joue un rôle majeur lors de la suite.

Encore plus invraisemblable : il est le sosie physique de Bartholomée. Ca nous donne donc un prince Viking, né chez les Vikings, appelé à devenir Empereur des Vikings, aux cheveux châtains-roux, assez loin de la blondeur nordique, et au petit nez retroussé, qui contraste avec les tarins forts ou busqués des guerriers Vikings. On se demande pourquoi Mitton a tellement voulu créer un double de Bartholomée. Car les relations entre les deux (eh oui, Bartholomée sort brutalement de ses étreintes avec sa squaw, parce qu'il "pressent" un règlement de comptes final avec Leif (Bartholomée est-il donc subitement devenu devin ?)) , pour violentes qu'elle soient, prennent un tour métaphysique, en mettant en jeu l'identité de l'un et de l'autre (alors que le scénario marchait très bien lorsque ces identités ne souffraient aucune ambiguïté). Mitton brouille à souhait les identités de l'un et de l'autre, pour arriver à un finale où la logique a complètement dérapé (mais, rassurez-vous, pas l'érotisme). Mitton ne nous ayant pas spécialement habitués à de telles plongées dans les labyrinthes de l'Inconscient où se joue la construction de l'identité, il doit s'agir d'autre chose, mais qu'on a du mal à capter. S'il y a une logique d'individuation là-derrière, c'est plutôt foireux. Heureusement qu'Erik, le vrai frère de Leif, a de la barbe pour qu'on le distingue de Leif (mais pas de Bartholomée, qui a de la barbe aussi), sinon le récit reviendrait à deviner qui est qui en réalité.

On a du mal aussi à comprendre pourquoi et comment Leif peut s'engager dans une barquette avec sa chérie pour traverser tout l'Atlantique, histoire d'aller bastonner un mec qui ne lui cause aucun ennui, sinon qu'il lui ressemble. Ca le traumatisme tant que ça, de savoir qu'il a une sorte de frère jumeau dans le monde (planche 40) (frère jumeau bidon, en plus ?)

Comme si ça ne suffisait pas, Fridda change de personnalité : au lieu de l'impérieuse Walkyrie qui mène ses grosses brutes à la conquête du monde, elle nous fait un étrange numéro de petite orpheline, abandonnée dans la forêt, et recueillie par d'autres filles, avec laquelle elle cherche à retrouver une place honorable dans le monde Viking (planches 18 à 21). Accès de féminisme ?

On est un peu déçu de voir Fridda mettre une tunique (c'est vrai, les foufounes, on s'habitue), et prétendre que son marteau de Thor magique n'est que de la gnognote, de la magnétite qui attire la foudre (planche 20). Décidément, on ne peut même pas rêver au surnaturel dans cet épisode. Et cela nous fait, dans la série, trois dignitaires religieux qui disent que les croyances religieuses, c'est de la foutaise, et qu'elles ne servent qu'à manipuler les gens pour assurer un pouvoir : les prélats chrétiens français, le chaman Algard, et Fridda ! Mitton trouve sans doute qu'il a un peu abusé du côté magique-religieux-rituels-mythologique, et s'empresse de revenir au bon vieux discours bien français : la religion, c'est de l'escroquerie.

Même les lieux qui devraient faire rêver sont ramenés à un certain réalisme : Thulé, avec son prestige mythologique, se réduit au port de Thorshaven (Torshavn), barricadé derrière un rempart naturel de hauts rochers (planche 5).

Les scènes de coucheries et et de titillations érotiques, comme à l'accoutumée, envahissent l'album. Belle idée que de faire évoluer Leif et Gwendoline dans un monde réservé à des femmes, qui en profitent pour se disputer le seul mec disponible, et puis, pourquoi pas, la fille qui l'accompagne (planches 12 à 17). Et le duel entre deux mecs nus, annoncé en couverture du Tome 5, débarque enfin dans ce Tome 6 (planches 41 à 45).

Donc, peu de cohérence, à part la chair fraîche à tripoter sans modération.
khorsabad
6
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le 23 sept. 2014

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khorsabad

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