Cette série a donc bien pour fil conducteur de décrire la vie et la survie des Juifs en France pendant la Deuxième Guerre Mondiale. On quitte le héros masculin pour laisser place à deux petites filles juives obligées de porter l'étoile jaune.


Au centre du récit : la rafle du Vel' d'Hiv' de 1942 : la police parisienne met la main sur tous les Juifs de la capitale qu'elle peut trouver, les parque pendant plusieurs jours dans le Vélodrome d'Hiver à Paris (faut traduire, les Parisiens ayant tendance à avoir tellement honte de la langue française qu'ils croient élégant d'en bouffer la moitié des syllabes). Comme dans les deux albums précédents, deux petites filles juives vont échapper à la rafle, et se cacher là où elles peuvent, trouvant toujours sur leur chemin quelques bonnes âmes qui les aident à survivre.


A travers les aventures mouvementées des deux petites filles, Laurent Galandon persiste à vouloir introduire, de manière assez lourde et artificielle, des éléments enfantins-poétiques récurrents, dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne s'imposent pas d'eux-mêmes. Ici, la plus petite des deux filles (Lucja) trimballe un lapin en peluche qui sert de leitmotiv (sans grande fonction dans l'intrigue, comme les oiseaux des deux premiers tomes), et la plus grande (Selena) imagine à l'usage de la petite des contes populaires style "Hansel et Gretel" ou "Le Petit Chaperon Rouge", mais revus et corrigés pour mieux coller à leur situation du moment.


On s'étonne quand même que deux petites filles qui subissent d'aussi abominables traumatismes ne soient pas plus chagrinées que cela. On pleure un peu quand on est à peu près sûr de ne jamais revoir Papa et Maman, et ça ne va pas beaucoup plus loin. Ce qui s'appelle avoir le moral ! De même, la manière dont Selena arrive à fuir le Vel' d'Hiv' traumatiserait aisément plus d'un adulte; elle, elle s'en accommode presque avec le sourire et sans même vomir...


Les dialogues sont fort réalistes, et ne contribuent pas peu à bien typer les personnages que rencontrent Selena et Lucja. Les personnages sont assez complexes : la vieille Berthe maintient assez longtemps l'équivoque d'un état de sorcière, tout en finissant par révéler d'autres aspects plus engageants; sa transition entre ces deux états s'amorce planche 30 de manière un peu déroutante; la petite Martine (planche 24) transpose dans les cours de récréation les antagonismes résistants-collabos des adultes, tout en restant une pré-ado entichée de secrets personnels et légèrement chipie (planche 28).


Le dessin de Hamo est plus agréable et convaincant que celui d'Arno Monin (tomes précédents) : style semi-réaliste soigné, plein de rondeurs attendrissantes et familiales, un éclairage plus franc avec des nuances plus limitées de dégradés lumineux; les parties supposées être à l'ombre conservent malgré tout une tonifiante luminosité, ce qui confère un dynamisme et un enjouement plus soutenu au récit que dans les tomes précédents. Les passages présentés comme imaginaires ou oniriques restent des crayonnés en gris et blanc astucieusement lunaires, et n'ont pas été enrichis de couleurs.


On apprécie le tailleur recherché et bien daté de Madame Héron (planche 16). La maison rurale de Berthe possède un intérieur croqué sur le vif, dans sa ruralité pratique de carrelages et de boiserie finalement assez propre (planches 22 et 23).


Intéressante valeur documentaire (surtout à un moment historique où les contenus enseignés à l'école se débilisent sous la pression délibérée d'un projet politicard de perte de mémoire nationale); le récit, bien que souffrant un peu de l'intrusion de passages oniriques mal raccordés à l'ensemble, est plus dynamique et mieux équilibré que dans les deux premiers tomes.

khorsabad
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le 26 juin 2015

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