Il s'agit d'une bande dessinée de 68 pages, en couleurs. Elle est initialement parue en 2017, écrite par François de Smet, dessinée et mise en couleurs par Thierry Bouüaert. Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s'est fixé comme but d'explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s'agit donc d'une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.
Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle s'ouvre avec un solide avant-propos de David Vandermeulen de 9 pages, plus un quart de page de notes. Il commence par évoquer le roi Cyrus le grand (-600 ou -576, à -530), fondateur de l'empire perse, et auteur de la charte, dite Cylindre de Cyrus, présentée par l'ONU comme la première charte des droits de l'homme. Il évoque ensuite le code de loi d'Hammourabi (-1810 à -1750), édictant lui aussi des droits pour les citoyens. Il retrace la diffusion des idées de la charte de Cyrus jusqu'à l'empire romain reprenant plusieurs droits sous forme de loi dite naturelle, puis dans la constitution de Médine (622), la Grande Charte (Magna Carta, treizième et quatorzième siècle) de Jean sans Terre, le Bill of Rights (1689) anglais, jusqu'à la Déclaration d'indépendance des États-Unis d'Amérique en 1776. Puis il évoque le vingt-et-unième siècle et la remise en cause de certains articles comme celui sur la torture, ou le fait que tous les états du monde n'aient pas signé cette déclaration universelle.
La bande dessinée commence par le narrateur interpellant le lecteur, et expliquant qu'il est la Déclaration universelle des droits de l'homme s'adressant directement à lui, à l'instar du texte d'un livre qui parle à son lecteur. La Déclaration rappelle sa naissance officielle, c’est-à-dire sa signature le 10 décembre 1948, au Palais de Chaillot à Paris. Elle passe en revue quelques-uns des signataires et les espoirs qu'ils placent dans ce texte pour éviter les horreurs de la seconde guerre mondiale aux générations futures. Elle évoque aussi les cas particuliers des états qui se sont abstenus lors du vote : l'Afrique du Sud et le régime e l'apartheid, l'Arabie Saoudite et son refus de reconnaître le droit de changer de religion ou l'égalité entre femme et homme, et les pays de l'Est s'alignant sur le choix de l'URSS. Puis la Déclaration revient sur sa gestation : la composition d'un comité de rédaction comprenant 18 membres dont les 2 principaux artisans Eleanor Roosevelt (1884-1962) et René Cassin (1887-1976), juriste, idéaliste, juif. Elle passe ensuite à son véritable lieu d'origine : les camps d'extermination allemands de la seconde guerre mondiale.
Dans son avant-propos, David Vandermeulen braque la lumière sur les proto déclarations des droits de l'homme, sur leur ancienneté, leurs limites, mais aussi les circonstances de leur existence. Le lecteur découvre (ou retrouve) ainsi ces textes ayant établi des droits pour les citoyens, des catégories d'individus qui ne recouvraient pas tous les êtres humains, des textes dont l'universalité se limitait au royaume ou à l'empire qui les avaient promulgués. Il fait le lien entre ces textes antiques et la démocratie grecque, imbriquant ainsi les 2 notions comme allant de pair. Le lecteur constate à chaque exemple que la conception de ces textes se fait lors de périodes de guerre ou juste après des conquêtes sanglantes, comme si les vainqueurs effectuaient une promesse pour apaiser les peuples conquis ou soumis. Il termine son texte en rappelant que tous les états n'ont pas ratifiés cette déclaration et que certains droits restent des vœux pieux, voire connaissent un recul dans leur application, en prenant comme exemple la proscription de la torture, ou le droit d'asile. Le lecteur peut être un peu surpris de ne voir la Déclaration universelle des droits de l'homme (en abrégé DUDH) mentionnée une seule fois, mais en fait le texte de David Vandermeulen remplit parfaitement son office de mise en contexte de l'exposé qui suit.
En découvrant la première page de bande dessinée, le lecteur est agréablement surpris de voir que les auteurs ont trouvé un mode de présentation originale. Par comparaison avec la plupart des autres auteurs des ouvrages de cette collection, ils ne se mettent pas en scène pour amener un peu de vie dans leur exposé. Ils choisissent d'introduire un personnage qui n'est autre que la Déclaration elle-même. De cette manière, ils respectent le cadre d'un exposé qui proscrit le récit de fiction, tout en donnant à entendre la voix d'un narrateur. Ce procédé narratif amène une forme de rythme à l'exposé, et permet de glisser un jugement de valeur bien senti de temps à autre. Les auteurs n'abusent pas de ces remarques, et les placent à bon escient, en commençant par faire le point d'où en sont quelques pays en matière des droits de l'homme, une quarantaine d'années après la promulgation de la Déclaration. François de Smet est l'auteur d'ouvrages comme Les droits de l'homme. Origines et aléas d'une idéologie moderne et Reductio ad hitlerum : Une théorie du point Godwin, établissant sa légitimité à écrire un ouvrage sur la DUDH. Le lecteur se rend vite compte que sous des dehors de sympathique monologue, la narration passe en revue le contexte de la parution de la DUDH, son historique, les problématiques de sa rédaction pour satisfaire les différentes nations, et la réalité de son application. L'auteur épate par sa capacité à rendre compte de la complexité de l'entreprise, à étayer son propos par des faits concrets et précis, et à conserver une forme discursive rigoureuse. Alors que le lecteur pouvait craindre un exposé pesant et indigeste, il prend plaisir à un ouvrage vivant et alerte.
Le lecteur prend mieux la mesure du travail de mise en forme s'il a déjà lu d'autres ouvrages de la collection. Au vu des qualifications des auteurs, il a pu avoir l'impression qu'ils remettent un texte tout ficelé, et que le dessinateur choisi s'arrache les cheveux pour trouver des solutions afin de le mettre en images, sans montrer ce que dit déjà le texte, sans tomber dans des illustrations ponctuelles plus ou moins dispensables. Thierry Bouüaert réalise des dessins de nature descriptive et réaliste. Les contours des formes sont assez assurés, avec des petits traits secs à l'intérieur pour rendre compte des textures. Dès la première page, le lecteur pet apprécier un premier apport des dessins : la représentation reconnaissable des lieux évoqués par le texte. Cela n'a pas simplement pour effet sur le lecteur de voir le lieu évoqué dans le texte, mais aussi de lui donner de la consistance, de plus ancrer les mots dans le réel. Ce n'est pas la même chose que d'évoquer les camps de concentration, que de revoir la terrible inscription Arbeit macht frei.
À partir de la septième page, le lecteur apprécie le deuxième plus apporté par les dessins : la représentation des personnages historiques comme Eleanor Roosevelt, René Cassin, Adolf Heichmann (1906-1962) et Hannah Arendt (1906-1975) à son procès à Nuremberg en 1960, Charles Malik (1906-1987), ou encore Peng-Chun Chang (1892–1957). En les mettant en scène dans des discussions sur la rédaction d'un article, dans des activités banales comme de prendre le thé ou le café, l'artiste les fait s'incarner comme des êtres humains normaux accomplissant leur travail. Thierry Bouüaert se montre tout aussi convaincant lorsqu'il reproduit des images d'archives de guerre, ou qu'il évoque une époque d'un passé plus lointain comme Francisco de Vitoria (1483-1546) s'interrogeant sur le statut des indiens du Nouveau Monde. Avec les dessins, l'exposé gagne en concret et en consistance de la reconstitution historique. Il s'éloigne d'une narration théorique pour gagner en humanité. S'il a déjà lu d'autres ouvrages de cette collection, le lecteur en ressort encore plus impressionné par la capacité de l'artiste à composer des suites de cases relevant de la narration séquentielle, et pas simplement d'une suite de tableaux illustrant le cartouche de texte.
Éventuellement, le lecteur peut être un peu dérouté par le fait que François de Smet ne suive pas un ordre chronologique, ou qu'il ne passe pas en revue les articles de la DUDH qu'il a choisis, dans l'ordre numérique. Rapidement il se rend que la construction un peu plus complexe de l'ouvrage permet à la fois de développer les enjeux et les contraintes d'une rédaction consensuelle de certains articles, mais aussi des thématiques transversales sur plusieurs articles. Il apprécie de découvrir par l'exemple la difficulté d'évoquer la protection sociale en tant que droit, en produisant un texte qui en concilie les approches capitaliste et communiste, dans l'article 22. L'auteur sait faire ressortir toute la sensibilité de la question du droit à quitter son pays (article 13) et du droit d'asile dans l'article 14. En citant quelques articles bien choisis, l'auteur met en lumière la difficulté du consensus, les atrocités de l'Histoire qui ont amené à les rédiger, et par moment les valeurs sous-jacentes de la société de l'époque, comme pour l'alinéa 3 de l'article 16 qui indique que la famille est l'élément naturel et fondamental de la société.
Alors qu'il se prépare à un texte docte et ardu illustré avec peine par un artiste héritant d'un texte tout bouclé, le lecteur découvre une vraie bande dessinée, rythmée et intéressante visuellement. Il bénéficie d'une présentation originale de la déclaration universelle des droits de l'homme, non exhaustive, nourrie par son contexte, et par les thèmes qui la sous-tendent comme la propension sans cesse renouvelée de l'humanité à se détruire, l'exploitation des plus faibles, la dimension universelle de sa conception, les convictions politiques irrésolubles entre l'Est et l'Ouest, mais aussi entre le Nord et le Sud, et le fait indiscutable qu'il n'existe qu'une seule race humaine dont le berceau est en Afrique. 10 étoiles pour une présentation extraordinaire de la déclaration universelle des droits de l'homme.